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JM Hospitals: Comment l'hôpital peut-il devenir plus résilient face à une future pandémie, à une future inondation ou un autre événement d'une telle ampleur? Dr David Hercot: Chaque hôpital doit faire un bilan des risques auxquels il fait face. Il s'agit des risques aigus, de l'afflux de malades, de tension sur l'approvisionnement. Ensuite, chaque hôpital doit agir pour réduire ces risques. Augmenter, par exemple, l'approvisionnement en pétrole pour faire tourner les générateurs d'urgence. Il faut, dans l'absolu, revoir les procédures d'urgence et analyser leur résilience face à ces risques systémiques émergents. Il faut notamment capitaliser sur l'expérience acquise lors de la pandémie de covid-19. Cela concerne non seulement chaque hôpital, mais à plus large échelle chaque réseau hospitalier. Il faut faire de la prospective et aller plus loin que ce qu'on a fait pour l'instant, en collaboration avec les services de protection civile et de gestion de crises. Les hôpitaux seuls n'ont cependant pas les capacités de faire face à ces nombreux défis. Ils doivent être accompagnés. Vous avez raison. Un hôpital seul ne peut pas initier les changements nécessaires pour faire face aux risques. Il faut une action au niveau macro, c'est-à-dire au niveau du système de santé belge voire européen pour améliorer la résilience. La situation financière et la pénurie de personnel ajoutent de la complexité à la situation. Le tableau dépeint est assez sombre. Comment renverser la situation? Il faut d'abord prendre conscience de nos limites. Nous sommes dans une société où nous mettons beaucoup de moyens pour développer des projets qui ont en réalité un gain d'efficience très marginal. En santé, l'essentiel des investissements, de la recherche et de l'innovation se concentre sur des maladies très pointues. Par exemple, pour améliorer la survie des patients de 10% atteints de tel cancer. Il faut ensuite, selon moi, réorienter la recherche pour améliorer la robustesse du système de soin. Il faut réinvestir dans l'humain, dans la base: la prévention, la vaccination, le personnel. Il faut investir pour un meilleur équilibre entre l'hospitalier et l'ambulatoire pour réduire la pression que subit la deuxième ligne, avec le raccourcissement de la durée de séjour. Ce sont finalement des choix de société. J'aime l'idée - mais ce n'est peut-être pas le bon terme - d'un plan Marshall pour le système de santé. Il faut se mettre autour de la table, fixer des priorités avec l'argent disponible. Il faut pour ce faire une volonté politique, appuyée par la base - les prestataires de soins - qui doit également avoir une réflexion sur sa manière de fonctionner. Revoir par exemple le fonctionnement de la médico-mut et des commissions où chaque profession médicale travaille, à mon sens, beaucoup trop en silo. Beaucoup de réformes sont en cours, tant au Fédéral - la réforme du financement hospitalier, le New Deal en médecine générale - que dans les régions - citons par exemple Proxisanté en Wallonie. Ces chantiers en cours incluent-ils la notion de résilience? A-t-on notamment retenu les leçons de la pandémie? Notre système de soins a résisté à la pandémie de covid. Mais à quel prix? Il y a eu beaucoup de casse. Malheureusement, les chocs potentiels à venir seront de plus grande ampleur encore. Heureusement, les réformes en cours - on peut ajouter le financement d'agents de santé communautaires, notamment - sont positives et vont vers plus de résilience. On ramène la gouvernance du système de santé à des niveaux plus locaux. On essaie de renforcer la médecine générale, les soins à domicile, d'éviter l'hospitalisation, de maintenir les gens en bonne santé. Tout cela va dans le bon sens. Les soins de santé primaires coûtent moins chers que les soins hospitaliers. Et tout ce que l'on peut faire en première ligne évite de surcharger la deuxième ligne. Ce n'est pas nouveau. Il faut cependant du personnel pour arriver à tenir ces objectifs. C'est la limite. Il faut former du personnel. Aujourd'hui, on ne trouve pas assez de professionnels de l'art infirmier formés en santé communautaire par exemple. Il y a toutefois une prise de conscience des autorités. Quels sont les risques liés plus spécifiquement au changement climatique, à la géopolitique? Il y a d'abord les effets directs: davantage d'inondations, d'incendies, de sécheresses. Nous avons vu comment une inondation peut affecter le système de santé. Certains centres de soins peuvent être touchés, il faut mettre en place des systèmes palliatifs pour garantir l'accès aux soins dans la phase aigüe. Nous avons également connu des canicules qui ont causé une augmentation de la mortalité et de la morbidité. Il faut être capable d'absorber ces chocs qui seront plus récurrents à l'avenir. Il y a ensuite les effets systémiques du changement climatique. La situation de sécheresse extrême en Espagne menace par exemple la production alimentaire, qui peut avoir des répercussions sur l'approvisionnement alimentaire à travers le monde avec des augmentations de prix éventuelles ou des pénuries de certains produits, et donc un repli sur d'autres produits qui vont se retrouver sous tension. L'eau, l'alimentation et la sécurité passent avant les soins de santé. Cela peut amener des gouvernements à des situations d'arbitrage complexes, dans un contexte où l'endettement est colossal à cause de la pandémie. Si la Wallonie venait à subir aujourd'hui une inondation d'une intensité comparable à celle de 2021, elle ne pourrait pas intervenir avec la même efficacité, faute de moyens. À côté du dérèglement climatique, il y a des matières premières limitées. Ce qui provoque des tensions comme nous l'avons vu avec la guerre en Ukraine qui a généré une hausse de prix de l'énergie - gaz et pétrole - qui fragilisé notre système de soins de santé. C'est le cas également des métaux rares pour lesquels il existe des tensions sur les approvisionnements de matières premières nécessaires au système de santé tel qu'il fonctionne aujourd'hui. Il faut être capable de sécuriser l'approvisionnement en matériaux essentiels. Comment? On parle aujourd'hui de rouvrir des mines en Europe, mais aussi de relocaliser la production de médicaments sur le sol européen. Il s'agit d'un choix de société, encore une fois. Le concept One Health, martelé à hue et à dia depuis la pandémie, est-il une réponse possible? Le One Health et la santé planétaire - qui va même plus loin - veulent revenir au concept où l'humain fait partie d'un tout. Il ne peut vivre que sur une planète favorable à sa santé. L'importance de ces concepts est surtout sur l'inconscient collectif qu'ils appellent. Ils permettent de créer un imaginaire collectif où l'humain n'est pas supérieur à la nature, détaché de celle-ci. Cela permet, in fine, de repenser le droit de la nature, de limiter l'exploitation des ressources et les pollutions qui en découlent, de reverdir les villes, de faire de la place au vivant non humain et de construire un écosystème plus en phase avec les limites planétaires.