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Le JM Hospitals: Quels problèmes rencontrez-vous à l'heure actuelle pour recruter du personnel soignant? Marco Dusanic: Les mêmes depuis que j'ai commencé à travailler dans les hôpitaux en 1989: une pénurie de personnel infirmier, qui s'est encore aggravée avec la période Covid. À cette difficulté de recrutement depuis des années viennent s'ajouter les effets post-crise sanitaire dont une 'grande démission' - beaucoup de gens s'en vont - et l'arrivée sur le marché du travail de la génération Y qui ne désire plus consacrer son énergie uniquement à son emploi, ni pendant une longue durée, ce qui accroît le turn-over. Il vous faut à la fois recruter et donner envie de rester? Nous sommes confrontés à des facteurs externes sur lesquels nous avons peu de maîtrise, et à des facteurs internes comme notre incapacité à bien comprendre les besoins et attentes de cette génération qui fait qu'elle ne reste pas dans nos hôpitaux. Il y a un choc des générations - généralisé à beaucoup d'entreprises, selon mes contacts avec les autres DRH -, avec un turn-over important chez les jeunes. Nous le voyons dans nos propres statistiques: les "anciens" restent, les jeunes bougent énormément. Comment expliquer ce "choc des générations" du point de vue RH? Les fonctions de management sont détenues par les générations précédentes, qui ne comprennent pas nécessairement les attentes des suivantes. Ce n'est la faute de personne, simplement il existe une incompréhension entre les deux. Les jeunes ont une autre vision, ils ne voient plus l'entreprise comme le but à atteindre et ne mettent plus tous leurs oeufs dans le même panier. Ils préfèrent picorer et développer à la fois vie privée et professionnelle. Ils ne se voient pas toute leur vie dans la même entreprise, ni même dans le secteur en lien avec le diplôme de leurs études. Peut-on chiffrer ce turn-over? Avant, quand on engageait 200 personnes, il en restait 180 après cinq ans. Sur 200 engagements en 2023, on estime qu'il en restera 100 dans cinq ans. Ce turn-over s'est aggravé avec le Covid? Une remise en question personnelle - "Est-ce que tout ça vaut encore la peine?" - a touché les moins jeunes. Certains se sont réorientés, voire ont changé de secteur, d'autres ont réduit leur temps de travail ou se sont rapprochés de leur domicile. Le taux de turn-over infirmier est important (autour des 15%) car une infirmière trouvera toujours du travail où qu'elle aille. Pour les autres professions parmi les soignants, il reste toutefois une crainte "de ne pas retrouver", ce qui freine un peu les désirs d'aller voir ailleurs. Comment un groupe hospitalier tel que le vôtre recrute-t-il en 2022? Soit par du marketing direct auprès des écoles, soit via les réseaux sociaux comme LinkedIn, les sites internet et des services comme Indeed. Dernière emplâtre: le recrutement à l'étranger via des sociétés qui cherchent pour nous dans les pays où il y a des équivalences de diplômes (Portugal, Roumanie, un peu l'Espagne et l'Italie). Mais dans ces pays aussi, les nouvelles générations ont une autre vision. Au final, il y a plus de points communs entre des jeunes de 25 ans de pays (et même de continents) différents, qu'entre deux citoyens d'un même pays avec 30 ans d'écart. Les jeunes que nous recrutons à l'étranger ne restent donc pas nécessairement plus longtemps... Quelles politiques RH menez-vous pour tenter de contourner cet écueil? Nous nous devons de comprendre ces nouvelles générations pour leur donner un cadre de travail qui va les retenir, à tous les niveaux (conditions, formations, responsabilités). Nous avons une formation qui a beaucoup de succès sur la "gestion de l'intergénérationnel", où l'on travaille sur les différences de références, de valeurs et de modèles pour arrêter le dialogue de sourds entre générations. Ces formations ne sont pas du tout ex cathedra mais basées sur des mises en situation et des jeux de rôle (notamment sur la notion de temps, l'usage des smartphones). Elles se font sur deux ou trois jours extra muros, dans des lieux où les gens sont détendus et mélangés (âges, soignants/non-soignants). Les jeunes sont avides de formation, ils ont soif d'apprendre et arrivent avec des infos et des techniques nouvelles sur la façon d'organiser les soins, ils ont envie d'intervenir sur la façon de fonctionner. Il faut nourrir ces jeunes de ce dont ils ont besoin, l'entreprise a un rôle plus important à jouer. On ne peut plus se contenter de dire: "Vous me donnez votre force de travail, je vous donne un salaire". N'importe quelle entreprise offre cela, la génération Y va vers l'entreprise qui offre un plus. Les rôles sont inversés: ce n'est plus l'hôpital qui recrute des infirmières, c'est l'infirmière qui recrute son hôpital. C'est désormais à nous de nous vendre, et pas au candidat. Vous avez aussi une politique axée "good vibes"... Diffuser une image négative de l'hôpital où le métier d'infirmière est présenté comme 'le pire du monde' ne va pas nous aider! À force de montrer les aspects négatifs, on a mis sous l'éteignoir les apports positifs de la profession dans l'épanouissement personnel. Comment rendre l'hôpital plus attrayant? En remettant en avant l'aide à la communauté, l'accompagnement du patient, le fait de le rassurer, la gestion de sa douleur... C'est d'autant plus important vis-à-vis des jeunes qui cherchent un sens à la fonction qu'ils exercent. Une bonne partie du travail est vraiment valorisant, les patients sont reconnaissants et remercient très souvent - d'ailleurs, si j'ai besoin de chocolat, je demande aux infirmières, elles croulent sous les pralines! (rires)