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Avec un nombre de lits et des durées de séjour en diminution, l'hôpital psychiatrique est en pleine mutation. "En 2000, on comptait 485 lits contre 376 actuellement, dont 39 lits gelés pour les équipes mobiles 107. Cela fait donc un tiers de lits en moins. En 2000, il y avait 150.000 journées de facturation et 450 ETP. Aujourd'hui, ce sont 100.000 journées de facturation pour 500 ETP", explique François Rassart, directeur général du Beau Vallon. "Entre 2000 et aujourd'hui, il y a eu la réforme de l'État, la réforme 107, la crise sanitaire qui a amplifié les problèmes de santé mentale et qui a également changé le regard des autorités publiques par rapport à la problématique. De nombreuses initiatives sont prises depuis trois ans, notamment pour la santé mentale des enfants et des adolescents, pour l'accessibilité des soins psychologiques en première ligne. Néanmoins, l'hôpital psychiatrique doit sortir de ses murs, et les défis qui l'attendent - comme par exemple l'intégration de l'IA - sont nombreux, d'autant que les moyens financiers et humains diminuent.""L'hôpital psychiatrique doit se réinventer. Dans les années 60 sortait Asiles, livre dans lequel le sociologue américain Erving Goffman démontre que l'hôpital psychiatrique est une institution totalitaire. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Les soins ont évolué vers une approche centrée sur le patient", ajoute le Dr Pierre Oswald, directeur médical du CH Jean Titeca et président de la Conférence des médecins-chefs des hôpitaux psychiatriques de Bruxelles et de Wallonie. Comment relever ces défis? C'est la grande question. Divers professionnels sont venus présenter leur point de vue. Pour Annick Poncé, conseillère générale à l'Inami qui s'occupe notamment du financement des hôpitaux, le maître mot est "oser". "Les hôpitaux psychiatriques ont toujours été des pionniers. Les réseaux, s'ils ne sont pas formalisés, ont été constitués dès 2002 dans les institutions psychiatriques, alors que cela ne s'est fait qu'en 2017 pour les hôpitaux généraux.""La santé mentale est également un secteur créatif, où l'on invente de nouvelles fonctions de soins, comme les équipes mobiles. La question est de savoir si toutes les fonctions de soins doivent être réalisées à partir de l'hôpital psychiatrique. Le secteur a également inventé de nouveaux concepts, comme la fonction médicale pour financer des honoraires de surveillance par le biais des budgets moyens financiers dans le cadre de la réforme 107, ou encore le gel des lits d'hôpitaux pour ne pas perdre le financement de lits hospitaliers."Pour aller plus loin, Annick Poncé estime qu'il est grand temps d'évaluer les projets pilotes et de lancer des réformes structurelles si elles font sens. "Certains projets existent depuis 2011, comme les projets 107. Actuellement, il y a très peu d'évaluation du coût-bénéfice des projets pilotes. Faut-il formaliser les réseaux? Faut-il développer, financer divers modes de collaboration, de prévention?", questionne l'intéressée. "L'objectif principal de l'organisation des soins en santé mentale, c'est l'intégration sociale", estime François Wyngaerden, sociologue et docteur en santé publique (Epsylon). "Comment y arriver via nos institutions psychiatriques? En plaçant l'usager au centre de manière concrète, c'est-à-dire en lui laissant la possibilité de décider de son projet, de sa trajectoire de soin. L'autre élément qui me paraît fondamental pour soutenir l'intégration sociale, c'est transmettre l'espoir. L'espoir qu'une vie satisfaisante est possible pour toutes les personnes qui sont passées par la psychiatrie, quelle que soit la sévérité de leur symptomatologie."Est-ce qu'il est possible de soutenir cette position à partir de l'hôpital? "Ce n'est pas évident, notamment car il y a une difficulté pour l'hôpital d'être en connexion la plus directe et la plus proche possible avec ce qui se passe dans le quotidien de la personne, dans son milieu de vie, dans son logement, dans ses créations sociales", répond François Wyngaerden. "Il faut ajouter à cela une dimension structurelle, historique: l'hôpital psychiatrique est vu, dans la société en général, comme un lieu de mise à l'écart de la société. Or c'est exactement l'inverse qu'il faut faire pour soutenir l'intégration sociale des personnes.""Il faut partir, comme le préconise l'OMS, d'une organisation des soins en partant de la base", suggère le docteur en santé publique. "Il faut démarrer avec les services qui demandent le moins d'investissements et qui répondent à un maximum de besoins de la population, pour aller vers des services plus spécialisés, et donc plus chers, en haut de la pyramide."Pour arriver à renverser la pyramide, il y a néanmoins plusieurs difficultés. "On manque de ressources", résume François Wyngaerden. "On manque d'équipes mobiles, de solutions d'hébergement, de consultations psychiatriques dans la communauté. Les modalités de financement ne sont pas adéquates. Il faut mettre davantage de moyens pour développer des alternatives avant de diminuer la place de l'hôpital. On est aujourd'hui au milieu du gué: on est arrivé à développer des équipes mobiles dont le travail est intéressant, mais elles ne sont pas en mesure d'assurer pleinement l'alternative à l'hôpital. Et en même temps, on est allé suffisamment loin dans la limitation des places à l'hôpital. À un moment donné, il va falloir choisir le chemin à prendre."