Le 12 mai 2016, le Parlement a voté la loi transposant la Directive européenne 2014/24 sur les marchés publics. Cette disposition comporte en germe la principale modification de l'exercice de la médecine et la principale menace sur sa qualité depuis 1963. Cette directive s'applique aux services de santé. Elle impose aux institutions publiques ou financées par subsides la sélection par adjudication des prestataires de services médicaux indépendants.
Par conséquent, elle s'imposerait dans le recrutement des médecins hospitaliers qui sont techniquement des indépendants mais avec un statut particulier. Son application serait alors une modification fondamentale du système hospitalier.
Les problèmes nés du recrutement par marchés publics sont nombreux : procédure lourde, appel d'offre et critères de sélection excluant ce qui est l'essence de la relation médecin/patient, la rencontre d'une conscience et d'une confiance. Mais le problème central est que les critères de sélection des candidatures doivent légalement se baser sur l'offre économiquement la plus avantageuse pour l'adjudicateur et non pour le malade. Le médecin surconsommateur ou moins cher doit être choisi. C'est aussi une révolution par rapport au principe du statut actuel dont l'esprit a été résumé dans les conclusions de l'avocat général Leclercq précédant l'arrêt de cassation du 15 septembre 2003 : la règle tend à protéger le patient contre un comportement du gestionnaire qui pourrait lui porter préjudice. C'est seulement par voie de conséquence que le médecin hospitalier profite ainsi de la règle établie pour protéger l'intérêt du patient. Le médecin est donc considéré comme le protecteur naturel du patient contre les intérêts économiques du gestionnaire.
C'est ce principe qui est remis en question par la commercialisation de la médecine et son insertion dans le droit de la concurrence voulu par l'Europe. C'est le critère de l'avantage économique du gestionnaire qui compte, même si les critères de sélection peuvent retenir le meilleur rapport qualité/prix ou efficacité/coût.
Le statut du médecin hospitalier, un Objet Juridique Non Identifié incompatible avec les marchés publics
Pour le Premier ministre Di Rupo, la situation des médecins hospitaliers était simple : ils sont assujettis à la sécurité sociale des indépendants et ils fournissent des prestations d'indépendants, non pas aux patients mais pour l'hôpital, adjudicateur au sens de la loi. Pour lui, ils sont donc soumis à la loi sur les marchés publics et seuls les gestionnaires doivent être entendus.
La réalité est plus compliquée. Les politiques et les gestionnaires ont obligé les médecins, même dans les hôpitaux des Mutuelles socialistes, à adopter le statut d'indépendant pour échapper aux charges patronales. Mais leur condition de travail étant à la limite de celle de faux indépendant, on leur a créé un statut particulier qui est un OJNI (Objet Juridique Non Identifié) empruntant d'abord, au contrat de travail - médecin attaché à l'hôpital, hiérarchie, intégration dans le personnel, interdiction d'utiliser un personnel et matériel lui appartenant, résiliation du contrat motivée, rupture pour faute grave- mais aussi au statut public -conditions de travail imposées par une réglementation générale et non par une négociation individuelle, modification des conditions financières unilatéralement décidées par le gestionnaire en accord avec le conseil médical- et enfin au régime d'indépendant dans la distribution des soins. C'est la participation à la gestion par le truchement du conseil médical, organe interne de l'hôpital, qui garantit l'organisation et les moyens nécessaires à cette indépendance. L'assujettissement à la loi sur les Marchés Publics apparaît ainsi contestable(1) .
Le choix du gouvernement pour la marchandisation de la médecine voulue par l'UE
La Directive devait être transposée en droit belge avant mai 2016. A l'approche de sa transposition, il fallait réagir. La chancellerie, institution du Premier ministre Michel en charge des marchés publics, et les gestionnaires refusaient d'entendre nos inquiétudes. Certains leaders médicaux étaient partisans d'ignorer le problème en espérant que personne n'appliquerait la loi comme le suggéraient des dirigeants hospitaliers comptant mettre les médecins devant le fait accompli quand il serait trop tard
Mais dans l'entretemps, sur impulsion de l'Union des villes et communes, les CPAS ont commencé à recruter les MCC des MRS par adjudication. Une action devenait urgente. Le Dr de Toeuf et moi avons rencontré la chancellerie au cabinet du Premier ministre Michel pour lui présenter la solution juridique la plus simple : la directive exclut de son champ d'application les contrats d'emploi. Il suffirait d'interpréter le terme " contrat d'emploi " en y englobant le contrat assimilé en droit belge exercé par une personne qui, sans être liée par un contrat de travail, fournit des prestations dans des conditions similaires. Cette interprétation pourrait recouvrir le statut de médecin hospitalier dont les prestations seraient ainsi exclues de l'application de la loi.
Le ministre n'a pas donné suite à notre suggestion. Le projet de loi allait être déposé inchangé. La question devenant donc urgente, j'ai contacté le 30 décembre 2015, le Dr Fonck, députée CDH, qui a saisi tout de suite l'importance et la gravité de la question pour l'avenir. Elle a déposé le 8 mars 2016 un amendement n°7 à l'article 28 qui énumère les cas de non-application. Le 15 mars, les partis de la majorité déposent avec elle un amendement 74 qui correspond à l'esprit de sa proposition mais moins précis : " Le Roi peut définir les cas considérés comme contrats de travail ". La justification de cet amendement se réfère expressément aux médecins hospitaliers : " Force est de constater que leur situation n'est pas des plus claire. Le Roi doit être habilité à définir plus en détail ces situations. La présence d'un lien hiérarchique est néanmoins toujours indispensable...l'on pourrait aussi préciser l'un ou l'autre de ces cas, lorsque cela est possible en collaboration avec les services de la Commission " (DOC 54 1541/006 amendement 74). C'est cet amendement qui sera adopté par la Chambre le 12 mai 2016.
Le gouvernement face au choix crucial
Le débat suscité par Mme Fonck a mis le gouvernement face à ses responsabilités. Citons le rapport sur la justification du ministre des Finances à l'intervention de Mme Fonck dans la séance du 29 avril 2016 : "Le ministre reconnaît que cette problématique mérite un examen plus approfondi tout en réfutant qu'il a été dans l'intention du gouvernement de procéder à une marchandisation du secteur de la santé... La Directive exclut de son champ d'application parmi les marchés publics de services les contrats d'emploi. Or ces contrats visent uniquement les contrats avec lien de subordination...Le ministre reconnaît le statut particulier des médecins hospitaliers non-salariés qui, même s'ils ne se trouvent pas dans une relation de travail au sens de la loi de 78, ne peuvent non plus être considérés comme des prestataires de service. " (rapport p 61 DOC 54 1541/011)
Rien n'est fait mais l'amendement existe et ouvre une voie. Reste à concrétiser et la vigilance reste de mise.
Par Henry Anrys, ancien secrétaire général de la Chambre syndicale Hainaut Namur Brabant wallon
Par conséquent, elle s'imposerait dans le recrutement des médecins hospitaliers qui sont techniquement des indépendants mais avec un statut particulier. Son application serait alors une modification fondamentale du système hospitalier.Les problèmes nés du recrutement par marchés publics sont nombreux : procédure lourde, appel d'offre et critères de sélection excluant ce qui est l'essence de la relation médecin/patient, la rencontre d'une conscience et d'une confiance. Mais le problème central est que les critères de sélection des candidatures doivent légalement se baser sur l'offre économiquement la plus avantageuse pour l'adjudicateur et non pour le malade. Le médecin surconsommateur ou moins cher doit être choisi. C'est aussi une révolution par rapport au principe du statut actuel dont l'esprit a été résumé dans les conclusions de l'avocat général Leclercq précédant l'arrêt de cassation du 15 septembre 2003 : la règle tend à protéger le patient contre un comportement du gestionnaire qui pourrait lui porter préjudice. C'est seulement par voie de conséquence que le médecin hospitalier profite ainsi de la règle établie pour protéger l'intérêt du patient. Le médecin est donc considéré comme le protecteur naturel du patient contre les intérêts économiques du gestionnaire. C'est ce principe qui est remis en question par la commercialisation de la médecine et son insertion dans le droit de la concurrence voulu par l'Europe. C'est le critère de l'avantage économique du gestionnaire qui compte, même si les critères de sélection peuvent retenir le meilleur rapport qualité/prix ou efficacité/coût. Le statut du médecin hospitalier, un Objet Juridique Non Identifié incompatible avec les marchés publics Pour le Premier ministre Di Rupo, la situation des médecins hospitaliers était simple : ils sont assujettis à la sécurité sociale des indépendants et ils fournissent des prestations d'indépendants, non pas aux patients mais pour l'hôpital, adjudicateur au sens de la loi. Pour lui, ils sont donc soumis à la loi sur les marchés publics et seuls les gestionnaires doivent être entendus. La réalité est plus compliquée. Les politiques et les gestionnaires ont obligé les médecins, même dans les hôpitaux des Mutuelles socialistes, à adopter le statut d'indépendant pour échapper aux charges patronales. Mais leur condition de travail étant à la limite de celle de faux indépendant, on leur a créé un statut particulier qui est un OJNI (Objet Juridique Non Identifié) empruntant d'abord, au contrat de travail - médecin attaché à l'hôpital, hiérarchie, intégration dans le personnel, interdiction d'utiliser un personnel et matériel lui appartenant, résiliation du contrat motivée, rupture pour faute grave- mais aussi au statut public -conditions de travail imposées par une réglementation générale et non par une négociation individuelle, modification des conditions financières unilatéralement décidées par le gestionnaire en accord avec le conseil médical- et enfin au régime d'indépendant dans la distribution des soins. C'est la participation à la gestion par le truchement du conseil médical, organe interne de l'hôpital, qui garantit l'organisation et les moyens nécessaires à cette indépendance. L'assujettissement à la loi sur les Marchés Publics apparaît ainsi contestable(1) . Le choix du gouvernement pour la marchandisation de la médecine voulue par l'UE La Directive devait être transposée en droit belge avant mai 2016. A l'approche de sa transposition, il fallait réagir. La chancellerie, institution du Premier ministre Michel en charge des marchés publics, et les gestionnaires refusaient d'entendre nos inquiétudes. Certains leaders médicaux étaient partisans d'ignorer le problème en espérant que personne n'appliquerait la loi comme le suggéraient des dirigeants hospitaliers comptant mettre les médecins devant le fait accompli quand il serait trop tard Mais dans l'entretemps, sur impulsion de l'Union des villes et communes, les CPAS ont commencé à recruter les MCC des MRS par adjudication. Une action devenait urgente. Le Dr de Toeuf et moi avons rencontré la chancellerie au cabinet du Premier ministre Michel pour lui présenter la solution juridique la plus simple : la directive exclut de son champ d'application les contrats d'emploi. Il suffirait d'interpréter le terme " contrat d'emploi " en y englobant le contrat assimilé en droit belge exercé par une personne qui, sans être liée par un contrat de travail, fournit des prestations dans des conditions similaires. Cette interprétation pourrait recouvrir le statut de médecin hospitalier dont les prestations seraient ainsi exclues de l'application de la loi. Le ministre n'a pas donné suite à notre suggestion. Le projet de loi allait être déposé inchangé. La question devenant donc urgente, j'ai contacté le 30 décembre 2015, le Dr Fonck, députée CDH, qui a saisi tout de suite l'importance et la gravité de la question pour l'avenir. Elle a déposé le 8 mars 2016 un amendement n°7 à l'article 28 qui énumère les cas de non-application. Le 15 mars, les partis de la majorité déposent avec elle un amendement 74 qui correspond à l'esprit de sa proposition mais moins précis : " Le Roi peut définir les cas considérés comme contrats de travail ". La justification de cet amendement se réfère expressément aux médecins hospitaliers : " Force est de constater que leur situation n'est pas des plus claire. Le Roi doit être habilité à définir plus en détail ces situations. La présence d'un lien hiérarchique est néanmoins toujours indispensable...l'on pourrait aussi préciser l'un ou l'autre de ces cas, lorsque cela est possible en collaboration avec les services de la Commission " (DOC 54 1541/006 amendement 74). C'est cet amendement qui sera adopté par la Chambre le 12 mai 2016. Le gouvernement face au choix crucial Le débat suscité par Mme Fonck a mis le gouvernement face à ses responsabilités. Citons le rapport sur la justification du ministre des Finances à l'intervention de Mme Fonck dans la séance du 29 avril 2016 : "Le ministre reconnaît que cette problématique mérite un examen plus approfondi tout en réfutant qu'il a été dans l'intention du gouvernement de procéder à une marchandisation du secteur de la santé... La Directive exclut de son champ d'application parmi les marchés publics de services les contrats d'emploi. Or ces contrats visent uniquement les contrats avec lien de subordination...Le ministre reconnaît le statut particulier des médecins hospitaliers non-salariés qui, même s'ils ne se trouvent pas dans une relation de travail au sens de la loi de 78, ne peuvent non plus être considérés comme des prestataires de service. " (rapport p 61 DOC 54 1541/011) Rien n'est fait mais l'amendement existe et ouvre une voie. Reste à concrétiser et la vigilance reste de mise. Par Henry Anrys, ancien secrétaire général de la Chambre syndicale Hainaut Namur Brabant wallon