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Pour le secteur bancaire belge, ce montant de 2,3 milliards est-il finançable ? Pouvez-vous répondre positivement aux hôpitaux wallons qui vont se tourner vers vous pour emprunter de l'argent ?Bernard Michaux (directeur adjoint Wallonie chez Belfius) : Il faut d'abord rappeler que les 2,3 milliards d'euros représentent un montant autorisé. Ce qui veut dire que ce montant peut être activé lors du plan de construction 2019-2023 par les hôpitaux généraux et psychiatriques wallons. Ce montant ne comprend pas la TVA, les frais généraux et les équipements. Dans ce cas, le total s'élève à entre 3,1 milliards à 3,5 milliards d'euros. Il est important aussi de préciser que certains hôpitaux vont commencer leurs travaux dans le plan de construction 2019-2023 et les poursuivre dans le plan suivant. Ce dernier n'a pas encore été validé par les autorités.Cela parait logique. Un nouvel hôpital, par exemple, ne se construit pas en cinq ans.B.M. : En effet, mais pour les comités de crédit des banques, ce mécanisme crée une certaine incertitude.Olivier Helbot (Manager Social profit - ING Belgium) : En effet, le fait que certains projets hospitaliers sont bien avancés, alors que d'autres ne commenceront peut-être véritablement qu'à la fin de ce premier plan de construction pourrait donner à la situation un caractère plus aléatoire.En général, les prêts accordés aux hôpitaux pour leur construction se font sur vingt ans. Ce timing recouvre donc plusieurs plans de construction.B.M. : Les accords se font avant tout sur un projet. Même si on ne connaît pas encore le deuxième plan de construction, la probabilité qu'un hôpital doive arrêter un projet parce que l'Aviq n'aurait pas donné d'autorisation de financement est faible. A l'inverse, en Fédération Wallonie Bruxelles, le financement des travaux des hôpitaux universitaires - près d'un milliard d'euros d'ici 2038, lire jdM N°2572, ndlr - a été accordé sur dix ans. En tout, si l'on totalise les prêts que les banques devraient accorder aux hôpitaux généraux et psychiatriques wallons et aux hôpitaux académiques francophones, le montant s'élève à plus ou moins 4,5 milliards d'euros en dix ans.J'adapte dès lors ma question, 4,5 milliards d'emprunts est-ce finançable ?O.H. : Ce sont des montants élevés. Les enjeux sont importants pour le secteur bancaire. Chaque dossier hospitalier va être examiné au cas par cas, en tenant compte du contexte et de la situation spéciique de l'emprunteur. Selon moi, aucune banque ne va spontanément décider de mettre sur la table une enveloppe globale pour répondre à cette demande spécifique.À votre avis, tous les projets retenus dans le Plan de construction seront-ils réalisés ?O.H. : À ce stade, il est trop tôt pour répondre. On peut imaginer aussi que certains projets puissent être reportés, ne fût-ce qu'en partie, voire retravaillés. Et cela, selon l'évolution que pourra connaître le réseau dans lequel ils se situeront et les nouvelles collaborations qui en découleraient.Il y a-t-il, en dehors de banques classiques belges actives dans le secteur, des formes alternatives de financement pour les hôpitaux ?O.H. : Il en existe, même si, à ce jour et hormis la BEI bien entendu, on a vu peu d'opérateurs financiers, autres que les banques, intervenir directement pour de nouvelles constructions.B.M. : Notons que jusqu'à présent, à Bruxelles et en Wallonie, la BEI a prêté de l'argent en activant une garantie institutionnelle de la part des Régions. Cela a été le cas pour le site Delta du Chirec, le MontLégia du CHC et le projet Viviers du GHdC. Il n'y a plus de garanties institutionnelles. Comment la BEI va-t-elle intervenir à l'avenir ? Cette institution veut maintenir son triple A. Elle va vraisemblablement négocier de nouvelles conditions. Rappelons également que la garantie qui était fournie par les Régions était payante.Wallonie Santé peut également injecter 100 millions d'euros dans le secteur de la santé.O.H. : En effet. Mais il faut garder à l'esprit que cette enveloppe concerne également d'autres secteurs comme celui des maisons de repos ou du handicap. De plus, Wallonie Santé diversifiera probablement son risque. Ce montant ne profitera donc pas entièrement aux hôpitaux.B.M. : Ce montant reste marginal mais il peut créer un effet de levier. Pour certaines institutions, cette aide de Wallonie Santé peut les aider à améliorer leur solvabilité et leurs ratios propres. Wallonie Santé peut intervenir dans les petits projets, ceux qui ne visent pas à la reconstruction totale ou partielle d'un hôpital.Les hôpitaux qui doivent emprunter moins parce que leurs projets (validés par l'Aviq) sont moins coûteux pourront-ils emprunter plus facilement que ceux qui ont des projets mobilisant plusieurs millions d'euros ?B.M. : Les banques ont des engagements financiers importants dans le secteur hospitalier. Elles vont continuer à prêter de l'argent aux hôpitaux. Aujourd'hui, nous devons déterminer comment nous allons accorder les crédits et à quelles conditions. Nous devons tenir compte de l'endettement des hôpitaux. Pour les hôpitaux généraux, selon la dernière étude Maha, le taux d'endettement moyen est de 40%, ce qui représente entre 2.300 à 2.400 millions d'euros. En clair, c'est la dette actuelle des hôpitaux vis-à-vis des institutions bancaires. Pour les trois hôpitaux académiques francophones (Erasme, Saint-Luc et CHU de Liège, ndlr), le taux d'endettement est de 21%. Au niveau national, ce taux est de 14,7% pour les hôpitaux académiques. Il ne faut pas oublier qu'à côté des investissements d'infrastructures, tous les hôpitaux ont des investissements courants et des investissements en matériel.O.H. : Chaque année, un hôpital investit globalement quelques centaines de milliers d'euros. Ces investissements ne concernent pas tous les infrastructures ou n'ont pas tous des horizons de 20 ans. N'oublions pas que l'informatique hospitalière, incontournable, nécessite également des investissements élevés.Les investissements dans des solutions d'informatique médicale représentent-elles une plus grande prise de risque pour les banques qu'un investissement immobilier ? On peut penser que la durée de vie de ces produits (DPI...) est moins longue que celle d'une construction...O.H. : Bien évidemment, la durée de vie de ces produits est bien plus courte que ce qu'on observe dans l'immobilier. Cela tient non seulement à la rapidité avec laquelle la technologie évolue, mais également au fait que les systèmes informatiques des uns ne sont pas toujours compatibles avec d'autres et doivent de ce fait être remplacés. Pour l'immobilier, une question centrale reste le devenir des actifs financés. Comment reconvertir un bâtiment hospitalier si on le désaffecte ? Les nouvelles infrastructures tendent à tenir compte de cet aspect de reconversion, et sont appelées à devenir plus modulables. Tout cela a un impact en matière de risque.B.M. : L'investissement dans les constructions hospitalières a été fixé par l'Aviq sur 25 ans. C'est réaliste pour l'hébergement. Dans le système de financement précédent, géré par le Fédéral, il était de 33 ans. Pour l'investissement médico-technique, faut-il prévoir des durées de financement de 20 ans ou 25 ans ? Certainement pas. Avec l'évolution de la médecine, l'obsolescence des équipements va s'accroître. Quid de la durée de l'investissement dans les pôles logistiques ? Face aux dossiers que les hôpitaux vont introduire auprès des banques, nous allons devoir tenir compte des durées de vie des différents investissements en fonction de leur degré d'obsolescence. Ajoutons, que le financement de l'informatique hospitalière est toujours une compétence fédérale. Le prochain gouvernement ne devrait-il pas prévoir un budget " informatique hospitalière " important ? Cela ne concerne pas que l'achat des solutions, mais aussi l'entretien et le renouvellement.L'endettement des hôpitaux va-t-il augmenter ?B.M. : En tenant compte des investissements qui vont être faits, certains hôpitaux vont se retrouver avec des taux d'endettement de plus de 55%. Certains pourraient arriver même à 70%. Le taux de dépendance de ces institutions vis-à-vis des banques va être très élevé. Se pose la question de leur solvabilité. Les fonds propres sont alimentés par les bénéfices. Depuis des années, les bénéfices diminuent. En 2017, le bénéfice de l'ensemble des hôpitaux généraux wallons était de neuf millions d'euros. En outre, les subsides directs d'investissement accordés par le passé par le fédéral et les régions - le fameux 90/10 - n'existent plus. Les hôpitaux doivent donc financer directement sur fonds propres leurs projets ou emprunter de l'argent. Des institutions vont augmenter leur taux d'endettement et avoir une solvabilité sous pression. Pour les banques, cette solvabilité est un critère d'évaluation essentiel. Il permet de déterminer le " rating " d'un hôpital.Dans les prochains mois, tous les hôpitaux wallons vont venir défendre leur dossier auprès des banques pour dérocher des lignes de crédit. Certaines institutions risquent-elles de ne pas trouver de préteurs ?O.H. : Chaque demande sera analysée et dans la mesure du possible, l'impact des réseaux hospitaliers sera aussi examiné. Le secteur hospitalier est face à la nécessité de se projeter dans l'avenir notamment en ce qui concerne l'évolution de la médecine ambulatoire ou son rôle dans un système d'intégration des soins. Le banquier fait également face aux mêmes impératifs de projection dans l'avenir et doit lui aussi anticiper au mieux.B.M. : L'examen d'un dossier de crédit, ce n'est pas noir ou blanc. En décryptant les ratios, un analyste spécialisé dans les crédits répond normalement par une acceptation ou un refus. C'est son rôle. Chez Belfius, qui a une forte présence dans le secteur hospitalier depuis des années, la réponse binaire n'est pas de mise. Nous pouvons assortir l'approbation à des conditions voire en exiger certaines en amont d'un projet et ce dans l'intérêt financier non seulement du client mais aussi de la collectivité. Rappelons que le secteur hospitalier est régulé par les autorités et qu'il doit fournir des soins à la population. Ce n'est pas un secteur marchand pur et dur. Nous devons apporter des réponses qui ne mettent pas en péril les finances de l'hôpital, qui, par exemple, emprunterait trop, et qu'il soit autonome par rapport à une éventuelle intervention de ses associés. Par exemple, pour le secteur public, les villes et les communes qui sont déjà dans des situations financières difficiles. Chaque dossier sera étudié au cas par cas. Il n'y a pas de " petit " ou de " grand " dossier. Un " petit " dossier pour son l'activité financière d'un hôpital.Le nouveau mécanisme de financement wallon des constructions crée-t-il une plus grande incertitude ?O.H. : Il en crée dans la mesure où ce nouveau mécanisme lie les possibilités qu'a un hôpital de se voir octroyer un financement aux prestations qu'il réalise (sur base d'un prix maximum d'hébergement à la journée d'hospitalisation). Auparavant, le capital et l'intérêt étaient couverts par le budget des moyens financiers libérés par la santé publique sur 33 ans. De plus, ce prix à la journée pourra être revu chaque année en fonction de l'activité de l'hôpital. Dans un contexte de résultats d'exploitation de plus en plus souvent mis sous pression, le gestionnaire doit donc faire face à un risque supplémentaire. Le banquier aussi.B.M. : En outre, dans le nouveau système, les taux d'intérêt ne sont plus garantis par les autorités. Le taux pris en charge par la Région wallonne est revu chaque année par l'Aviq. Aujourd'hui les taux sont bas. Si dans cinq ans, les taux augmentent, les hôpitaux risquent de devoir payer l'écart entre le taux appliqué par la Région et le taux du marché. Le risque lié à l'évolution des taux d'intérêt est transféré sur l'hôpital.