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Le 28 janvier dernier, le ministre Vandenbroucke a annoncé ses grands projets de réformes structurelles pour le secteur hospitalier. Comme il était annoncé, le développement des réseaux hospitaliers constituera un axe essentiel de son action.Les réseaux ont été créés sous la précédente législature par une loi où l'essentiel des questions pratiques ont été esquivées, et où la définition des fonctions " loco-régionales " et " supra-régionales " était tout sauf clair. On a forcé les hôpitaux, dans ce brouillard, à proposer pour début 2020 une organisation en 25 réseaux. Avec quelques retards, ils ont été créés, mais en fonction de critères très variables. Et du coup, comme le constate le ministre, ils " se caractérisent par une forte hétérogénéité dans leur composition " (lire jdM N°2700) qui ne facilite pas " l'élaboration d'un cadre uniforme " pour organiser l'offre de soins. Dans le même temps, sur le terrain, on voit bien que les réseaux peinent à avancer vers des projets concrets depuis deux ans, quand ils ne sont tout simplement pas à l'arrêt.Si l'on perçoit bien que ce cabinet appréhende bien mieux que le cabinet précédent les difficultés intrinsèques à la mise en place de telles collaborations, et qu'il ne se fait pas les mêmes illusions sur la possibilité d'y arriver rapidement, il semble toujours sous-estimer au moins cinq difficultés majeures :1) Comment intégrer dans le même réseau des hôpitaux privés et publics ? On a bien donné, en dernière minute, une réponse au statut de l'entité réseau elle-même (une ASBL de droit privé), mais cela ne règle toujours pas le statut des personnels dépendant de structures de concertation totalement différentes. Si les personnels statutaires peuvent être isolés dans des cadres extinctifs, on voit mal comment des contractuels pourraient être amenés à travailler ensemble dans des référentiels différents. Et puis, sous quel statut seront engagés les futurs collaborateurs amenés à travailler dans les deux types d'hôpitaux ? Qui sera l'employeur ? Il n'a été précisé non plus jusqu'où s'étendra la responsabilité des gestionnaires publics dans les futurs déficits des hôpitaux intégrés au sein du même réseau.2) Que faire de la multitude de coopérations hospitalières mises en oeuvre depuis 30 ans, dans des périmètres qui ne s'identifient pas aux réseaux ? En cardiologie, radiothérapie, oncologie, néphrologie, etc., de nombreuses collaborations " à la carte " existent et fonctionnent souvent fort bien. Mais elles ont été établies au cas par cas, entre des groupes d'hôpitaux chaque fois différents. Faut-il les dissoudre, au risque de casser des collaborations historiques et efficaces, pour toutes les ramener au niveau du réseau ? Ou s'investir dans un grand projet médical du réseau pendant qu'on continue, par la force des choses, à collaborer avec des hôpitaux qui n'en font pas partie ? Par ailleurs, aucune des législations qui définissaient les critères de ces collaborations n'a encore été adaptée à la logique des réseaux. Les hôpitaux qui souhaiteraient développer des nouvelles initiatives dans ces domaines sont en principe légalement tenus de le faire indépendamment des réseaux....3) L'objectif affirmé est une " réorganisation des missions de soins cliniques au sein du réseau ". Il a été demandé aux réseaux de penser un grand projet médical de répartition d'activités plus cohérent, on parle même d' " hôpitaux plus spécialisés ". Fort bien. Mais est-il prévu d'informer le citoyen que cette réorganisation des missions de soins s'accompagnera forcément d'une réduction du choix du patient, dans toutes les zones où plusieurs réseaux ne cohabitent pas dans un rayon assez faible, c'est-à-dire à peu près partout sauf dans les grandes métropoles ? Quand, dans un bassin de vie, il n'y aura plus qu'un seul pôle mère-enfants, qu'un seul centre oncologique, qu'un seul service d'orthopédie peut-être, y aura-t-il encore un vrai choix pour le patient ?4) La loi sur les hôpitaux a été conçue pour définir une série d'obligations minimales à chaque structure hospitalière : les services cliniques (chirurgicaux et médicaux, urgences, réanimation, bloc opératoire), les fonctions médico-techniques (laboratoire, pharmacie, etc.) ; les gardes médicales, résidentes ou rappelables ; la tenue d'un dossier patient propre à l'hôpital, etc. Selon la loi l'entité qui doit respecter ces obligations, est le numéro d'agrément hospitalier. Comment réorganiser l'offre de soins dans une perspective de réseau si chaque hôpital est toujours tenu de respecter chacune de ces règles ? Cette question s'était déjà posée lors des fusions multi-sites, et n'a obtenu que des réponses parcellaires et peu cohérentes. C'est comme si on voulait à la fois favoriser la spécialisation des hôpitaux, tout en leur imposant de continuer à garantir toutes les prises en charge...5) Enfin, et c'est le point crucial, comment mettre en place un projet coordonné d'organisation des soins entre des hôpitaux qui conservent des structures de décisions et une responsabilité économique (un bilan, un compte de résultats) propres ? On l'oublie trop souvent, les hôpitaux sont des entreprises, tenues à l'équilibre financier par leur gestionnaire et par leurs banquiers, à la liquidité par leurs fournisseurs. Comment imaginer que des pans entiers de l'activité hospitalière puissent se répartir harmonieusement entre des entités qui conservent chacune leur Conseil d'administration, leur Conseil médical, leur Comité de Direction ; toutes ces instances devant se mettre d'accord au même moment sur les mêmes projets, chacune veillant légitimement à leur impact sur sa propre structure, à chaque phase du processus (sans quoi elle le bloquera) ? Est-il réellement envisageable que de tels bouleversements organisationnels puissent-être menés sans une gouvernance unique, qui assume la responsabilité économique sur l'ensemble du réseau et n'aurait à se préoccuper que de l'impact global des projets ? En un mot, pour qu'un réseau puisse s'inscrire dans un vrai projet global, ne faut-il pas préalablement fusionner les hôpitaux dans une seule entité juridique ? Mais alors, pourquoi créer une structure de plus, et ne pas contraindre les hôpitaux à fusionner, tout simplement ?Dans les dernières décennies, les tentatives de promouvoir les coopérations institutionnelles entre les hôpitaux n'ont pas manqué. Les groupements hospitaliers des années 1990, les associations " bassins de soin " des années 2000 devaient déjà réduire la concurrence et permettre une offre plus rationnelle des soins, sans induire de fusion. L'expérience a montré que ces projets n'ont rien produit de concluant, et ont même sombré dans l'oubli, en raison de l'incapacité de répondre aux questions ci-dessus. Contrairement à ce que pensent les promoteurs des réseaux, il est à craindre que leur caractère obligatoire ne suffira pas à leur éviter le même sort, si une réponse cohérente, rapide et concrète n'est pas apportée aux nombreuses incertitudes dans lesquelles les réseaux ont, eux aussi, été créés.