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Dans sa récente note d'informateur, Paul Magnette (PS) entend supprimer les suppléments d'honoraires dans les hôpitaux. Les Mutualités chrétiennes sont aussi de cet avis. Cela ressemble à une mesure sociale, mais l'est-ce vraiment ?In tempore non suspecto, plusieurs semaines avant qu'il ne soit question de cette note, nous avions interviewé Piet Calcoen sur les suppléments d'honoraires, un spécialiste du sujet. L'an dernier, il a fait un doctorat à l'université Erasmus de Rotterdam avec comme sujet de thèse les dépenses privées en soins de santé. De formation, Calcoen est médecin et juriste (Yale et Anvers). Il a des diplômes en médecine d"assurance, philosophie et théologie, et est pour l'instant, directeur médical chez DKV Belgique.Pour Calcoen, la question de savoir si les suppléments d'honoraires doivent oui ou non être supprimés est une question idéologique. " Les suppléments d'honoraires sont complémentaires aux tarifs Inami. Ils sont entrelacés. Abandonner ce système pourrait signifier que l'on se dirigerait vers un modèle anglais. A côté du National Health System, on y trouve le secteur 'indépendant'-(privé) : les cabinets privés pour lesquels la sécurité sociale n'intervient. Les gens y ont une double assurance, qui leur donne accès aux soins privés."Ici, les chiffres sont aussi importants. Plus de 80% des Belges ont une assurance hospitalisation complémentaire. En Angleterre, 11% disposent d'une couverture pour les soins privés. " En termes de chiffre d'affaires, un montant proportionnellement plus élevé va dans les assurances maladie privées que chez nous dans les assurances hospitalisation. Un système privé parallèle est bien sûr beaucoup plus cher qu'un système qui est complémentaire à l'Inami. Toutefois, un tel système parallèle, tout à fait privé est aussi possible en Belgique. Imaginons que demain, un médecin sans intervention Inami lance une clinique privée 'state of the art' qui répond à toutes les normes de sécurité et de qualité. Dans un contexte européen, on ne peut pas l'empêcher. Cela existe d'ailleurs déjà en ophtalmologie, en chirurgie plastique, etc. Une scission stricte entre des soins publics et des soins privés peut être une option, mais est-ce l'option que nous voulons ? "Indépendamment de toute idéologie, Piet Calcoen distingue dans sa thèse relative aux suppléments d'honoraires cinq points névralgiques." Premièrement, le lien entre suppléments d'honoraires et chambres particulières est absurde. Deuxièmement, il est très étonnant que dans les hôpitaux tant les médecins conventionnés que non-conventionnés demandent des suppléments d'honoraires, de façon aussi fréquente, et des montants aussi élevés. Il n'y a pas de différence. Alors que les médecins conventionnés ont quand même un statut social de près de 5.000 euros pour se constituer une pension. "Un troisième point névralgique est que les suppléments d'honoraires sont exprimés en pourcentage du tarif officiel Inami. " Les tarifs Inami pour une transplantation pulmonaire, par exemple, sont très élevés. Disons 5.000 euros. Un supplément d'honoraires de 200% revient donc à 10.000 euros. Pour une prestation de par exemple 200 euros, le supplément n'est que de 400 euros. C'est un mode de calcul malsain. "Une caractéristique d'une assurance privée est le risque " d'antisélection " dans la phase de conclusion du contrat. Piet Calcoen s'explique : " Les gens s'affilient obligatoirement à la sécurité sociale. Et ils ont tendance à attendre d'être malades pour conclure une assurance privée, ce qui fait que les dépenses augmentent pour l'assureur et que donc, il va augmenter leur prime. Ce faisant, les coûts augmentent à nouveau, ce qui entraîne que des assurés en bonne santé vont abandonner le système et seuls les malades vont y rester. Résultat : les coûts réaugmentent... Ce cercle vicieux explique pourquoi il faut une sélection médicale lors de la conclusion d'une assurance maladie privée".Une assurance privée comporte à la fois des avantages et des inconvénients : "Une assurance privée a deux grands avantages. Elle réduit le risque financier et l'étale dans le temps. Les gens paient une prime, mais s'ils doivent faire face subitement à des frais de plusieurs milliers d'euros, ils sont remboursés. Et ils ont accès à des soins d'excellence ou à des soins qui seraient sinon impayables. Des implants en dentisterie en sont un exemple type ", analyse Piet Calcoen.Malheureusement, deux inconvénients sont aussi inhérents à une assurance maladie privée. " Premièrement, il y a les frais administratifs de l'assureur. Et deuxièmement, il y a un 'patient" et un 'provider-induced moral hazard'. Le patient sait que son assureur rembourse entièrement les suppléments d'honoraires qu'ils s'élèvent à 1000 ou 10.000 euros. Pour lui, peu importe et il ne discutera donc pas du montant de ceux-ci avec l'hôpital. Idem pour le médecin et l'hôpital. Ils raisonnent aussi en se disant que ce n'est pas le patient qui paie, mais bien l'assureur, et donc, ils ne se gênent pas. " Le Dr Calcoen en vient ainsi au quatrième point névralgique : les assureurs privés - et également l'assurance maladie obligatoire - prennent trop peu de mesures pour lutter contre le moral hazard.Le cinquième problème - et le plus important - est que les dotations publiques insuffisantes ont pour conséquence que les suppléments d'honoraires sont de plus en plus utilisés pour financer l'hôpital. " En Wallonie et à Bruxelles, les suppléments d'honoraires sont en moyenne plus élevés qu'en Flandre. Cela dit, les dernières années, les hôpitaux se rattrapent aussi en Flandre et ces deux dernières années, dans les hôpitaux flamands, les augmentations sont intégralement allées dans la poche de l'hôpital. Les médecins n'en voient pas la couleur. " Selon Piet Calcoen, c'est la principale explication à l'ambiance de crise actuelle autour des suppléments d'honoraires.Pour chaque point névralgique, le Dr Calcoen a une solution à proposer. "Pour les deux premiers points - le lien avec les chambres individuelles et la facturation de suppléments d'honoraires quel que soit le statut conventionnel du médecin - nous pouvons nous inspirer de ce qui se fait en France. Les suppléments d'honoraires existent dans différents pays. La Belgique est toutefois unique par le lien qu'elle établit entre suppléments et chambres individuelles. Ce lien n'existe nulle part. Supprimons dès lors cette façon de faire et procédons comme en France. Là-bas, seuls les médecins non conventionnés peuvent facturer des suppléments."Pour éviter que de plus en plus de médecins se déconventionnent, on pourrait élargir leurs avantages sociaux, comme c'est le cas en France. Par exemple en supprimant pour les médecins conventionnés et leur famille leur cotisation à l'assurance maladie obligatoire. Etant donné que les autorités prennent une partie des charges sociales en charge, le statut conventionné devient alors plus alléchant.Le Dr Calcoen entend solutionner le troisième problème en exprimant les suppléments d'honoraires non seulement en pourcents, mais aussi en euros. "Aujourd'hui, le règlement interne de l'hôpital mentionne un montant maximum pour les suppléments d'honoraires exprimé en pourcents. On pourrait y ajouter aussi un maximum par hospitalisation exprimé en euros. Les hôpitaux ne le voient pas d'un mauvais oeil."Exprimer les honoraires en euros pourrait aussi, selon Calcoen toujours, contribuer à un recalibrage de la nomenclature. " Il faudrait répartir les honoraires de manière plus équitable. Les suppléments d'honoraires sont liés à la nomenclature. Tant qu'il n'y a pas eu de révision de la nomenclature, on pourrait imaginer de revoir les suppléments d'honoraires via des montants en euros ".Selon lui, des mesures doivent être prises pour lutter contre le moral hazard. "Le plus efficace est de faire contribuer le patient, soit par un montant, soit par un pourcentage. L'option la plus forte est un pourcentage, par exemple 20%. Dans ce cas, le patient aura intérêt à discuter avec l'hôpital et le médecin. Et les médecins et les hôpitaux diminueront aussi leurs exigences."AbusL'essentiel est de lutter contre les abus. Piet Calcoen fait référence à une étude récente de l'Agence intermutualiste dans laquelle il est question de suppléments d'honoraires allant jusqu'à 50.000 euros pour une hospitalisation - hors ticket modérateur, matériel médical, etc. " La facture totale s'élevait donc peut-être à 70.000 euros... Plaçons donc une limite pour l'ensemble du pays, par exemple de 10.000 euros de supplément d'honoraires pour une hospitalisation. Ou fixons, pourquoi pas, un Maximum à facturer par hospitalisation pour l'ensemble des coûts."Certes, il relève qu'il s'agit d'un nombre limité d'abus. " Mais ils sont par contre flagrants. Les patients paient des dizaines de milliers d'euros de leur poche parce que (inconsciemment) ils ne sont pas ou pas suffisamment assurés. Ils doivent alors parfois contracter des emprunts pour rembourser leurs frais de santé. Ces 5% d'abus doivent disparaître. "Une approche pragmatiquePiet Calcoen souligne aussi les différentes fonctions des suppléments d'honoraires. " Le supplément d'honoraires est une partie du revenu des médecins. Pour les chirurgiens, cela va même en moyenne jusqu'à un tiers de leur revenu. Et ce n'est pas tout. Les suppléments ont encore une autre fonction. Imaginons qu'un nouveau traitement soit introduit. La nomenclature Inami n'a pas encore été adaptée et le médecin utilise donc encore l'ancienne nomenclature, alors que le nouveau traitement coûte plus cher. Les suppléments d'honoraires lui permettent d'appliquer des nouvelles techniques" De toute façon, aux yeux de Calcoen, il faudrait travailler avec des honoraires 'purs' pour mettre un terme à la crise actuelle autour des suppléments d'honoraires et du refinancement et la réforme du paysage hospitalier. " A terme, c'est aussi l'idée derrière les soins à basse variabilité. Je plaide ici pour une approche pragmatique et réaliste. Pas à pas. Il s'agit d'une matière très idéologique, mais commençons par prendre des mesures concrètes et constructives à relativement court terme, dans l'intérêt des médecins, des patients, et finalement aussi des hôpitaux. "Cherchons le ratioPour ce médecin, ce n'est pas un problème que les hôpitaux demandent des suppléments de chambre pour des chambres individuelles. "Mais si les suppléments d'honoraires sont toutefois intégralement reversés à l'hôpital, nous avons alors un problème conceptuel. Encore renforcer cette situation les prochaines années serait loin d'être idéal." En Belgique, le ratio est introuvable, selon lui. " Quelle est finalement la plus-value d'une chambre individuelle ? Pour des raisons médicales, il est évident que les hôpitaux, tout comme à l'étranger, ne mettent plus à disposition que des chambres individuelles. Mais chez nous, le lien avec les suppléments d'honoraires fait en sorte que le nombre de chambres individuelles reste à la traîne. C'est pourquoi on ferait aussi mieux de renforcer le lien avec le statut social. Le statut conventionnel devrait être un choix conscient. Soit un médecin travaille dans les contours de la sécurité sociale, respecte les tarifs et suit strictement les directives, sans une grande marge. Soit, il travaille totalement ou partiellement en dehors du système. Ce sont alors d'autres règles financières qui sont en vigueur et il y a alors peut-être plus de possibilités d'utiliser certaines nouvelles technologies. La conséquence est toutefois que cela coûte davantage. "Geert Verrijken