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" La pandémie a été un événement inattendu et violent, une sorte de tsunami pour le secteur hospitalier. Aujourd'hui, tout le monde sait ce qu'est une pandémie et en connaît les conséquences sur notre mode de fonctionnement. En Thaïlande, le gouvernement a créé un observatoire des tsunamis après le grand tsunami de 2004 pour ne plus se laisser surprendre une prochaine fois. Dans le secteur hospitalier, plus personne n'acceptera non plus de se faire surprendre une deuxième fois par une pandémie ", estime Paul d'Otreppe. "Evidemment, c'est humain, certains sont déjà tentés de retourner dans leur zone de confort même si la majorité des gens estiment qu'il faut changer le système. En réalité, selon ce que je ressens lors de mes contacts, seuls 5% des personnes veulent véritablement transformer le modèle actuel."Le président de l'ABDH fait la comparaison avec l'écologie. "La pandémie est la conséquence de nos choix. les problèmes environnementaux aussi. A un moment, il faudra s'en rendre compte. Notre capacité à faire l'autruche fait que nous ne parvenons à prendre ces problèmes à bras-le-corps."Pour Paul d'Otreppe cette pandémie offre l'opportunité de mettre sur pied un nouveau système pour le secteur hospitalier. "C'est ce qui a été fait avec les réseaux hospitaliers. A un moment donné, on peut se dire : transformer les choses ne dépend que de nous."Pour le président de l'ABDH, cette adaptation-révolution passera par trois grands chantiers : la structuration de l'offre de soins, le financement et la digitalisation. Le socle de cette transformation étant " la fourniture de soins de qualité à un prix acceptable ".Le directeur hospitalier estime qu'il faut repenser radicalement les lignes de soins. " La première ligne doit mieux s'articuler avec la deuxième ligne. Il faut arrêter la concurrence entre la médecine générale et la médecine spécialisée. La troisième ligne, les hôpitaux universitaires, doit devenir une " fonction ". La pandémie a montré que les médecins généralistes se sont remarquablement bien organisés et ont pu travailler avec le secteur hospitalier de façon très efficace. La collaboration a bien fonctionné. Au point qu'à Namur, une généraliste, qui co-pilotait le dispositif Covid, pourrait devenir administratrice indépendante du Réseau hospitalier namurois. Il faut créer un continuum de soins. A un moment, la prise en charge se fait en médecine générale. A un autre, elle se fait à l'hôpital. Le patient ne devrait pas s'en rendre compte."Dans ce système, les hôpitaux universitaires doivent trouver un autre modèle de fonctionnement. Pour Paul d'Otreppe, Il faut séparer l'enseignement et la recherche, pour lesquels on peut payer des salaires et dégager des moyens spécifiques, et la clinique, payée à l'acte ou via des forfaits. Il faut également distribuer des fonctions universitaires dans la plupart des hôpitaux généraux en tenant compte des réseaux loco-régionaux hospitaliers et réduire le nombre d'hôpitaux universitaires. Quant aux agréments, ils devraient être discutés sur le modèle du consensus entre les acteurs. Le deuxième grand chantier, le financement, passe par une plus grande forfaitarisation des soins. Ce système permet de rééquilibrer les modes de financement entre les hôpitaux, les lignes de soins et les prestataires. " Le système des forfaits favorise également la prévention ", ajoute Paul d'Otreppe. " Le problème de la médecine à l'acte est qu'il est impossible de faire concilier l'adaptation de la pratique médicale au financement. C'est beaucoup plus facile avec un forfait de tenir compte, par exemple, de l'évolution technologique. Or, dans le système hospitalier, il faut être visionnaire. Il faut réfléchir à dix ans, vingt ans. Ce n'est pas possible lorsque les partenaires du système essayent de ne surtout pas trop changer ce qui a été mis en place par le passé pour ne pas perdre des avantages ou risquer de perdre une partie de l'enveloppe budgétaire." Paul d'Otreppe propose de répartir les honoraires actuellement payés aux prestataires sous forme de forfaits sans réduction de l'enveloppe globale. " Durant la pandémie, on aurait pu créer des forfaits Covid actifs (avec une prime de risque) et passifs couvrant les prestations des médecins qui ont participé ou n'ont pas participé à la lutte contre le coronavirus. Ce système est beaucoup plus flexible." Et de rappeler l'idée de Guy Durant de créer un institut des forfaits qui adapterait constamment les forfaits en fonction de l'évolution de la pratique médicale. Pour Paul d'Otreppe, une partie des forfaits doit être investie dans la structure, tant en médecine générale qu'en médecine spécialisée ou à l'hôpital. Dans ce système forfaitaire, les gestionnaires ne peuvent plus faire de prélèvements sur les honoraires mais peuvent compter sur la partie " structure " des forfaits. " Grâce à l'Europe, on a réussi à créer des forfaits pour financer les infrastructures hospitalières. Pourquoi ne pourrait-on pas le faire pour les actes médicaux ? "La digitalisation est, pour Paul d'Otreppe, le troisième grand chantier dont il faut s'occuper. " La crise sanitaire a prouvé l'utilité de la vidéo-consultation. La transformation digitale va permettre aux médecins de travailler autrement. Ils doivent proposer aux gestionnaires hospitaliers des solutions technologiques qui contribuent à augmenter la qualité des soins et à réduire/maîtriser certains coûts (par exemple, des nuits d'hospitalisation inutiles). " Paul d'Otreppe est convaincu que le prix à payer pour changer le système actuel est un " Big Bang ", mais qu'il faut rassurer les acteurs que malgré cette révolution la majorité d'entre eux seront gagnants. Les autres devront se former et changer d'activités. Vincent Claes