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Dans l'actualité financière, le terme "obligation" renvoie le plus souvent aux émissions des États ou des organes supranationaux. On parle alors en milliards d'euros et ces titres sont ensuite activement négociés sur le marché secondaire. Cela reste vrai, à une échelle plus réduite, pour les obligations émises par des entreprises. Elles ne sont pas rares en Belgique, où le tréfileur Bekaert et le promoteur immobilier Atenor figurent parmi les émetteurs des dernières semaines. Des grands noms de l'immobilier comme Befimmo, Cofinimmo et Immobel ont également émis de pareils titres, tout comme l'opérateur de salles de cinéma Kinepolis. L'arbre des émissions publiques, celles ayant fait l'objet d'un prospectus et pouvant dès lors être vendues aux investisseurs particuliers comme professionnels, ne saurait toutefois cacher la forêt des obligations privées. Fort discrètes, souvent d'un montant total beaucoup plus faible (mais constituées de coupures de 100.000 ou même 250.000 euros), celles-ci sont réservées à un public restreint, notamment celui des investisseurs institutionnels comme les assureurs et les fonds de pension. Plusieurs institutions hospitalières ont trouvé leur place dans cet univers, en particulier les Cliniques universitaires Saint-Luc, à Woluwé, et l'ISPPC, Intercommunale de santé publique du pays de Charleroi. Plutôt à court terme et à des conditions assez enviables. Peu de banques proposent au secteur hospitalier de se financer par le biais d'obligations, et c'est un euphémisme. Chez BNP Paribas Fortis, on déclare disposer de suffisamment de liquidités pour l'octroi de prêts bancaires classiques. Tel est en vérité le cas de toutes les banques, particulièrement aujourd'hui. L'obligation représente avant tout une manière pour une entreprise de diversifier ses sources de financement. Imaginons, hypothèse extrême, que les banques ne veulent plus prêter au secteur hospitalier, ou moins, en raison des incertitudes liées à la crise sanitaire. L'existence d'un programme de financement par un autre biais représente une réponse à ce risque. Émettre une obligation est-il plus aisé qu'obtenir un crédit bancaire? Non: les conditions à remplir sont identiques. "D'autant que la responsabilité du banquier est engagée, comme sa réputation", souligne Bernard Michaux, directeur adjoint public & social banking chez Belfius . "Ce sera plus facile pour un hôpital présentant un bilan solide", complète son collègue Henri-Pierre De Smet, originateur sur le marché des capitaux de dettes. "Car l'investisseur examinera la situation financière de l'hôpital de la même manière que la banque le ferait pour un crédit." La crise sanitaire n'a pas gelé le marché, puisque plusieurs opérations ont été réalisées cette année dans le cadre des programmes déjà en place au profit des institutions évoquées plus haut. Pour fixer les idées: l'ISPPC dispose d'un programme de 50 millions d'euros, uniquement à court terme et totalement émis. De leur côté, les Cliniques universitaires Saint-Luc ont à ce jour émis pour environ 50 millions d'euros de leur programme de maximum 100 millions, à court comme à long terme. S'ils ne représentent qu'une fraction des besoins globaux de ces institutions, ces financements obligataires ne sont donc pas vraiment marginaux pour autant. Aujourd'hui, c'est essentiellement à court terme que les hôpitaux se financent par la voie obligataire. Dont l'appellation est dès lors un peu abusive car, pour des durées de trois ou six mois, les plus fréquentes ici, on parle en principe de billets de trésorerie, ou de CP, pour commercial paper, la dénomination anglo-saxonne. Il ne s'agit évidemment pas de repartir à zéro à chaque échéance pour de pareilles durées. "Ces billets sont le plus souvent prolongés, l'investisseur renouvelant sa confiance à l'émetteur", explique Henri- Pierre De Smet. Ils sont "rollés", comme disent les professionnels, raccourci pour l'expression roll over. L'anglais est décidément la langue de la finance ... "Et si l'investisseur en question a besoin de liquidités et souhaite à cette fin revendre l'obligation, ou ne pas prolonger son placement à maturité, c'est notre rôle de banquier de trouver un autre investisseur pour reprendre sa position", complète-t-il. Ainsi financés, les programmes de trésorerie des entreprises ont pour grand avantage de ne pas mobiliser de fonds propres au niveau de la banque, contrairement aux lignes de crédit. Et cette immobilisation de fonds propres a un coût pour la banque... évidemment répercutée sur le client. Elle est matérialisée par une "commission de réservation", explique Bernard Michaux. Pourquoi "de réservation"? Parce que les fonds propres correspondant au crédit accordé doivent dès le départ être réservés à cet effet. Et ceci que le client fasse usage de ce crédit entièrement, partiellement, ou même pas du tout. Si la formule obligataire évite à la banque une immobilisation de fonds propres et par conséquent, au client, la commission de réservation (qui représente 0,3 à 0,5%), on s'attend logiquement à ce que cette voie revienne moins cher que le crédit bancaire. "C'est impossible à affirmer dans l'absolu, souligne Henri-Pierre De Smet, car cela peut être vrai aujourd'hui et faux la semaine prochaine. Cela varie régulièrement." Il souligne par contre une astuce technique qui peut faire la différence. Il faut savoir que, pour déterminer le taux d'intérêt compté au client, une banque se base au départ sur le taux Euribor. C'est le taux moyen auquel les grandes banques se prêtent de l'argent entre elles. Elle lui ajoute évidemment une certaine marge. Or, ce taux Euribor est négatif depuis plusieurs années ; il est aujourd'hui de l'ordre de -0,5%. "Pour déterminer le taux d'un crédit, une banque prend ce taux Euribor, mais en plaçant un plancher (floor) au niveau 0%", détaille notre interlocuteur. "Le client, l'hôpital par exemple, ne bénéficiera donc pas du fait que les taux sont négatifs. Dans le cas d'un placement de format obligataire, l'investisseur va demander une marge par rapport à l'Euribor, mais sans fixer de plancher."La marge demandée couvrira en principe la partie négative du taux Euribor ; il ne faut donc pas imaginer que l'hôpital bénéficiera d'un taux débiteur négatif! Il a toutefois des chances, dans les circonstances actuelles, de payer un peu moins qu'avec un crédit bancaire classique. "Ceci vaut pour une émission à court terme, mais ce n'est pas vrai à long terme", complète Bernard Michaux. "Il y a d'une part la classique prime de risque: prêter à trois mois ou dix ans, ce n'est pas du tout la même chose, quelle que soit l'entreprise. Par ailleurs, le financement des soins de santé est d'une grande complexité et il est difficile pour un investisseur d'appréhender le risque spécifique présenté par un hôpital. Même si le secteur inspire confiance, car on sait bien qu'on ne peut en aucun cas le laisser tomber!", conclut notre interlocuteur.