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La station balnéaire où ont travaillé et exposé des génies comme René Magritte, Niki de Saint Phalle et Keith Haring tient évidemment l'art en haute estime. Ce n'est donc pas un hasard si, lors de la présentation du projet du nouvel AZ Zeno, Johan Cogge de Detoo Architects a débuté son exposé par un paysage des polders et un tableau de Magritte. L'art fait en effet partie intégrante de l'ADN de la ville, et donc de son hôpital !Installée le long de la N49 au niveau de la voie d'accès vers l'AZ Zeno, la Mikado Streetlamp Tower de l'artiste japonais Tadashi Kawamata attire tous les regards avec son bouquet de 12 lampadaires. Ce grand jeu de mikado est une référence aux poteaux d'acier qui soutiennent la structure flottante du bâtiment - un cas d'école d'une oeuvre d'art qui renforce l'architecture ! Suspendues en diagonale, les baguettes de mikado de Kawamata peuvent aussi faire penser à des clubs de golf et donc au parcours de 18 trous qui devrait être aménagé prochainement derrière la clinique... mais pour le coup, c'est plutôt un heureux hasard.On le sait, un décret impose à tout nouveau bâtiment hospitalier installé sur le territoire flamand d'investir un certain pourcentage de son budget dans l'art. " Mais nous n'allions évidemment pas acheter des tableaux à accrocher dans les bureaux de la direction ", commente en riant le directeur général Frank Lescrauwaet." Comme nous voulions frapper un grand coup sur le plan architectural, nous avons choisi des oeuvres qui rejoignent l'esprit du bâtiment. Nous tenions toutefois aussi et surtout à ce que l'art bénéficie à nos patients, à ce qu'il ait en quelque sorte un caractère curatif. Nous avons institué une commission artistique où siégeaient non seulement la direction, des médecins et des infirmiers, mais aussi les architectes et des représentants du monde de l'art. Chacun a eu l'occasion de donner son avis et de proposer les artistes de son choix ; sur 14 candidats, nous en avons finalement retenu quatre qui correspondaient à notre philosophie. "À côté de Tadaschi Kawamata, l'un des artistes contemporains les plus en vue du Japon, le comité a ainsi choisi Marie-Jo Lafontaine, Benoit Van Innis et Djos Janssens.En pénétrant dans le bâtiment, on est d'emblée frappé par le calme qui en émane. Les personnes présentes dans la zone d'accueil se comptent sur les doigts des deux mains : après s'être présentés à la réception, les patients sont immédiatement envoyés au département voulu, dans les étages. Le rez-dechaussée abrite uniquement le comptoir d'accueil, la pharmacie, la brasserie, une petite boutique... et un piano à queue sur lequel patients et soignants sont libres d'exprimer leurs talents musicaux.La blancheur de l'espace est égayée par les colonnes habillées de carreaux en céramique à motifs colorés de Benoît Van Innis, individuellement peints à la main et cuits à Caldas da Rainha, puis placés avec une précision extrême par des spécialistes portugais." La couleur dans l'architecture crée un nouvel espace, elle revêt une importance capitale ", souligne l'artiste. " Ces colonnes carrelées apportent à l'hôpital une touche de chaleur humaine. " Signalons au passage que son oeuvre la plus iconique est la station de métro Maelbeek à Bruxelles...Si Benoît Van Innis est plutôt un adepte des couleurs douces filtrées par la lumière, il en va tout autrement chez les artistes qui se sont occupés des services hospitaliers installés dans les étages. Djos Janssens a décoré les salles d'attente du premier au troisième d'un mélange de textes poétiques et d'interventions in situ hautes en couleurs. Son oeuvre repose ainsi sur une combinaison d'éléments sémantiques et plastiques dont l'objectif ultime est de réveiller l'observateur et de lui changer les idées dans ce contexte hospitalier pas toujours très joyeux. " Ik ben niet bang meer, ik heb vertrouwen " (" Je n'ai plus peur, j'ai confiance "), peut-on lire sur le mur de la salle d'attente des services de chirurgie, urologie et orthopédie. En gynécologie, l'artiste a choisi des images de nature et de fleurs... et les murs bariolés du service de pédiatrie comportent une foule de détails pour captiver et distraire les plus petits.L'intervention artistique de Marie-Jo Lafontaine fait également la part belle aux fleurs. " La beauté languissante d'une rose est une métaphore mélancolique pour l'érotisme éphémère de l'homme ", explique à ce sujet le curateur et éditeur Johan Pas dans le livret publié par l'AZ Zeno. Les fleurs de Lafontaine égaient également les chambres qui accueillent les patients le temps de leur séjour.Sa plus belle création est toutefois l'espace silence, une salle ronde entourée d'une structure en bois et en verre où les patients peuvent venir se recueillir seuls ou en famille dans les moments difficiles. Les fleurs de Marie-Jo Lafontaine ont une telle présence qu'on croirait presque en percevoir le parfum.Dehors, un ciel de plomb déverse des torrents d'eau sur le plat pays des polders ; on aperçoit au loin un phare et un clocher d'église. Tandis que le soir tombe, le bâtiment aux formes ondulantes s'éclaire de subtiles harmonies de couleurs. De loin, il semble vraiment flotter, comme l'ont voulu ses architectes - leur mission n'était-elle pas de concevoir un hôpital qui ne ressemble pas à un hôpital ?Il se murmure même que lorsque l'architecte partenaire d'origine sicilienne Salvatore Bono est venu inspecter le site du futur AZ Zeno, il a vu dans le brouillard qui couvrait les polders une vision de la forme qu'il allait prendre.Il n'en fallait pas plus pour retrouver le lien avec le surréalisme. Les architectes se sont approprié le célèbre Ceci n'est pas un pipe de Magritte - qui aimait aussi tant peindre des nuages - pour en faire Ceci n'est pas un hôpital! En 2018, l'AZ Zeno a remporté le premier prix (on oserait presque dire l'Oscar) du World Architecture Festival dans la catégorie Health Care.