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JM-Hospitals: Est-ce que vous ressentez l'inflation? Philippe Leroy: Nous faisons plus que la ressentir. C'est comme si vous me demandiez si je ressens une gifle en plein visage. Nous la sentons violemment, c'est certain. Surtout sur les salaires du personnel qui augmentent. C'est très bien pour le personnel et on s'en félicite. Mais, pour nous, ce sont des charges considérables en plus qui ne sont que partiellement compensées par nos sources de financement. Outre les salaires, nous ressentons l'inflation sur pratiquement toutes les autres lignes de notre structure de coût: les prestations externes, et l'énergie évidemment. Est-ce que l'énergie représente un gros poste? Oui, c'est un gros poste. Mais le plus important reste les salaires et les rémunérations, de très, très loin. Au-delà de ça, il y a tous les services associés. Tous nos fournisseurs souffrent de l'inflation et nous transfèrent le coût à nous, consommateurs. Cela concerne les petits dispositifs médicaux par exemple. Dès que l'on doit renouveler un marché, on n'a plus du tout le même tarif que l'an passé. Concernant l'alimentation, le prix de journée demandé pour la nourriture par patient a augmenté. Tout augmente. Ce qu'un ménage ressent à son échelle, l'hôpital le ressent à l'échelle d'une grande entreprise. Et on n'est pas du tout protégé face à cela. L'indexation tardive des honoraires est un problème? Oui. L'indexation des honoraires était de 0,79% pour le premier semestre 2022 et de 3% pour le second semestre. Il faut savoir que ces honoraires médicaux représentent entre un tiers et la moitié du financement de l'hôpital. Les salaires, qui représentent 70% des dépenses de l'hôpital, ont augmenté de pratiquement de 10% sur l'année. Dans le même temps, le principal poste de rentrée n'a augmenté que de 0,79% sur le premier semestre et 3% sur le second. Le fossé entre les deux est gigantesque. En faisant un calcul rapide, on voit ce que cela donne. Prenons notre chiffre d'affaire qui est de 300 millions d'euros. Pour simplifier, estimons les coûts salariaux à 200 millions d'euros. L'augmentation de 10% des salaires coûtera à l'hôpital la bagatelle de 20 millions d'euros. Pour faire face à ce coût, les honoraires et le budget moyen financier (BMF) - qui augmente également mais pas dans les mêmes propositions - augmentent de 4%, une surestimation. Sur notre chiffre d'affaire de 300 millions d'euros, cela fait 12 millions d'euros. Il faut donc combler un gouffre de huit millions d'euros. Contrairement à d'autres secteurs où l'on peut transmettre l'effet de l'inflation au consommateur, l'hôpital ne peut pas répercuter l'augmentation de l'inflation sur les patients. Tous les tarifs hospitaliers sont fixés par le gouvernement. Et c'est très, puisque cela protège le patient. Mais là où la situation est un peu hypocrite, c'est que l'on ne nous indexe pas nos financements à due concurrence. Une fois de plus, on plonge donc. À peine sorti de la crise Covid. Cette année sera une année en rouge pour tous les hôpitaux du pays, c'est certain. Et on ne voit aucune mesure d'urgence venir et on n'a aucune indication. Rien. Comment allez-vous passer ce cap? Clairement, je ne sais pas comment le secteur hospitalier va faire. Cela va être le même problème que lors de la crise Covid: il faudra puiser dans la trésorerie - si possible - pour combler le manque à gagner. Il y a deux solutions: ceux qui ont des réserves de trésorerie vont complètement vider leurs réserves, ce qui est déjà très préoccupant et grave en soit ; et ceux qui n'ont pas de réserve de trésorerie vont devoir aller, pour payer des salaires, négocier des emprunts à court terme avec les banques. Et alors là, bonne chance, car les banques sont très inquiètes. C'est la situation de notre secteur. Est-ce que vous envisagez des solutions à votre échelle, ou faut-il aller discuter avec les autorités pour trouver une solution davantage structurelle? La seule solution est d'aller discuter avec les autorités. Nous sommes dans un secteur - et c'est heureux comme ça - qui est régulé et réglementé par l'État de A à Z. Donc, si nous faisons face à des surcoûts majeurs liés à l'inflation, la seule solution est que l'État fasse un geste par rapport à nos rentrées d'argent. Si vous avez un hôpital avec un parking et une supérette, les revenus liés à ces activités ne représentent même pas un demi-pourcent de vos revenus. Vous ne savez pas trouver de l'argent ailleurs que dans les honoraires, le BMF et les forfaits médicaments et autres. Tout cela est complètement géré par l'État. Si l'État ne prend pas de décision à ce sujet, nous coulons. Nous n'avons pas d'autre marge de manoeuvre. Est-ce que vous craignez que cet état de fait provoque une accélération de la privatisation des hôpitaux? Ce que je crains, ce n'est pas la privatisation du secteur - qui est déjà en cours - mais la précarisation. Je pense qu'on ne prend pas du tout la mesure des problèmes de notre secteur. Je l'ai déjà dit, la réforme de Frank Vandenbroucke ne va pas du tout dans le sens d'un refinancement du secteur hospitalier, mais on se dirige plutôt vers davantage d'économies. Ce qui est très difficile à comprendre au sortir de la crise du Covid. On ne prend toujours pas la mesure des difficultés majeures de notre secteur. Soit on fait une réforme d'ampleur où l'on change complètement tout le mécanisme de financement, soit on réinjecte de l'argent dans le secteur. On est en train, depuis dix ans, de créer des hôpitaux pauvres. Pour avoir un aperçu de ce que cela donne, il suffit de regarder ce qu'il se passe en France. On se dirige vers cela. Depuis des années, la France n'investit plus dans ses hôpitaux et sous-paye son personnel. Le résultat est que l'hôpital public en France n'a plus aucun moyen, est en déshérence et le personnel ne veut plus y travailler. Se développent donc des cliniques privées à tour de bras. Ce n'est pas la privatisation mais l'avènement d'une médecine à deux vitesses. Et, en effet, le développement d'une médecine privée qui sélectionne ses patients et ne fait que ce qui est rentable. On est malheureusement déjà sur ce chemin-là.