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Il est rapidement apparu que les hôpitaux devaient bénéficier d'un soutien financier dans le cadre de la crise du coronavirus. Tant les établissements que les soignants ont en effet immédiatement été confrontés à certains coûts supplémentaires pour l'exécution des plans de crise, alors même qu'ils voyaient en parallèle leurs revenus diminuer de par l'annulation de nombreuses interventions, examens et consultations après le 14 mars. Le gouvernement est encore en train d'examiner comment éviter que les hôpitaux les plus sollicités ne se trouvent désavantagés, en termes de financement global, par rapport à ceux qui ont assumé une charge moins importante ( lire en page 4.). En vertu de l'AR n°10 du 19 avril 2020, les hôpitaux se sont toutefois vu accorder une avance d'un milliard d'euros, dont le montant sera déduit à une date ultérieure. Une deuxième avance de 1 milliard a été annoncée le samedi 6 juin. Une récente circulaire adressée aux administrateurs hospitaliers et aux présidents des conseils médicaux précise que 30% de l'avance accordée est accordée aux gestionnaires de l'hôpital. 70% de l'avance accordée doit faire l'objet de consultations entre les prestataires de soins indépendants et le directeur de l'hôpital. Des lignes directrices indicatives ont été établies pour l'utilisation de ces 70%. Une partie non négligeable de l'avance peut servir à garantir que l'hôpital présente le même montant d'honoraires rétribués qu'aux mois de mars, avril et mai 2018. Le montant peut également être utilisé pour rembourser aux prestataires de soins les activités découlant des transferts internes et des efforts supplémentaires qu'ils ont consentis dans le contexte de la pandémie, dans la mesure où ces prestations ne sont pas ou insuffisamment remboursées via la nomenclature ou par des forfaits.En dépit de l'avance accordée pour compenser en partie le manque à gagner, il s'est posé au sein des hôpitaux la question d'une éventuelle " redistribution" des honoraires des médecins indépendants pour les prestations des semaines écoulées et à venir. Il est clair que les différences d'honoraires sont parfois considérables, puisque certains médecins (indépendants) ont été pleinement mobilisés au cours de la première vague et ont donc réalisé de nombreuses prestations, générant par conséquent des honoraires importants. D'autres ont été informés par la direction qu'ils n'étaient plus autorisés à réaliser de consultations, interventions ou examens non urgent(e)s et ont vu leurs revenus se réduire comme peau de chagrin dès la mi-mars. Certains de ces médecins réclament une forme de compensation, estimant qu'ils n'ont pas choisi de suspendre leurs activités pendant un certain nombre de semaines. Ce sont en effet les directions hospitalières qui leur ont demandé d'annuler leurs activités non urgentes afin de dégager une capacité suffisante pour accueillir les patients Covid-19. La question se pose donc de savoir s'il est possible d'" organiser " une forme de solidarité pour mitiger ces différences d'honoraires imprévues. L'article 146 de la Loi sur les Hôpitaux définit de façon limitative quels sont les modes de rémunération qui peuvent être appliqués à l'hôpital, le choix devant en principe étant spécifié dans le contrat entre le médecin et l'établissement. Nombre de médecins hospitaliers bénéficient d'une rémunération à l'acte ou basée sur le partage d'un " pool " d'honoraires à la prestation, souvent organisé au niveau du service. Il est clair qu'en principe, il n'est pas question de toucher au mode de rémunération sans l'accord du médecin concerné. L'hôpital pourrait peut-être invoquer une situation de force majeure, mais même dans ce cas de figure, il faudra d'abord examiner si les dispositions contractuelles applicables ne prévoient pas de règles spécifiques en cas de force majeure (temporaire). Si celles-ci existent, elles doivent normalement être appliquées. Si ce n'est pas le cas, l'art. 155, § 4 de la Loi sur les Hôpitaux ouvre tout de même la porte à une forme de " solidarité financière " entre médecins hospitaliers, moyennant la collaboration du conseil médical. L'article 155, § 4 de la Loi sur les Hôpitaux permet de s'adresser au conseil médical en vue de la mise en place de mesures visant à maintenir ou à promouvoir les activités médicales de l'hôpital. Le conseil médical et le gestionnaire de l'établissement peuvent alors conclure un accord concernant 1° les retenues sur les honoraires (des médecins rémunérés à la prestation ou par une fraction d'un pool) pouvant être exprimées en pourcentage et 2° leur utilisation. Dans le passé, de tels accords ont déjà été conclus par exemple pour mettre en place une solidarité avec des spécialistes bénéficiant d'un financement " moins intéressant " au départ de la nomenclature. Un système comparable pourrait être envisagé dans le cadre de la crise du coronavirus. Le conseil médical et le gestionnaire de l'établissement pourraient par exemple décider de prélever de façon temporaire et exceptionnelle un montant plus élevé sur les honoraires des médecins qui ont eu l'occasion d'effectuer beaucoup de prestations au cours des semaines écoulées, et d'utiliser ces moyens pour rémunérer ceux qui n'ont pas où guère pu travailler à l'hôpital en raison de la crise du coronavirus. Il va sans dire que de telles dispositions doivent être limitées dans le temps, respecter la législation en vigueur et être non-discriminatoires. Il faudra notamment veiller à ce que les médecins qui ont traité des patients Covid-19 touchent malgré tout une rémunération plus élevée que leurs collègues, au vu des risques encourus dans le cadre de ces activités. Les accords financiers passés entre le conseil médical et le gestionnaire hospitalier ne doivent en principe pas être soumis à l'accord de l'assemblée générale des médecins hospitaliers et sont contraignants pour les médecins hospitaliers individuels en vertu de l'art. 155, § 5 de la Loi sur les Hôpitaux. La question se pose de savoir si une forme de solidarité peut être " organisée " pour mitiger les différences d'honoraires imprévues.Maître Stefaan Callens est avocat à Bruxelles et professeur ordinaire à temps partiel à la KU Leuven.