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Avocate spécialisée en droit du travail et plus particulièrement dans le domaine hautement sensible des licenciements et démissions, Vicky Buelens a été témoin de bien des souffrances chez les travailleurs renvoyés au cours de ses 22 ans de carrière. "Et cela n'a rien d'étonnant. Nous nous identifions souvent beaucoup à notre travail, à notre poste. Être licencié a quelque chose de blessant, notre fierté en prend un coup", explique-t-elle. À l'inverse, elle a toutefois aussi connu des employeurs qui avaient la boule au ventre à la simple idée de devoir renvoyer quelqu'un. En sa qualité d'avocate associée chez Kobalt Legal, elle intervient régulièrement dans les modalités de "rupture" entre hôpitaux et médecins. Le JM Hospitals: Y a-t-il une différence de culture entre un hôpital et une autre entreprise dans ce domaine? Vicky Buelens: La pression et la charge de travail dans le secteur des soins compliquent souvent une sortie correcte et respectueuse, car tout le monde est sous pression. Ce qui me frappe aussi, c'est que le départ d'un prestataire de soins s'accompagne souvent de la constitution d'un dossier négatif, dans le cadre duquel l'hôpital s'efforce p.ex. de recueillir des arguments et des témoignages d'autres collaborateurs pour étayer le licenciement. Un tel dossier est-il donc nécessaire pour renvoyer quelqu'un? Pas vraiment. Depuis le 1er avril 2014, tout travailleur a le droit de connaître les raisons concrètes qui ont mené à son licenciement, mais cela ne signifie évidemment pas qu'un motif peut être créé de toutes pièces. Mon impression est que cette tendance à constituer un dossier à charge découle du fait que la gestion du personnel dans le secteur des soins est assurée par des acteurs hautement qualifiés, qui tiennent beaucoup à ce que tout soit en ordre. L'entrepreneur classique, au contraire, est souvent quelqu'un qui a grimpé les échelons après avoir travaillé sur le terrain et qui ne réfléchit donc pas du tout de la même manière. Le respect des règles et des procédures est une chose, mais n'oublions pas qu'un licenciement concerne avant tout des hommes et des femmes. Le secteur des soins accorde justement beaucoup d'importance à une approche empreinte d'humanité. Y a-t-il des conseils pour un licenciement correct et respectueux qui s'appliquent tout particulièrement dans ce contexte spécifique? Après la crise du coronavirus, qui a tellement sollicité nos soignants, l'employer branding va être plus important que jamais: le secteur des soins doit lancer une véritable offensive de charme. Les départs sont une composante souvent sous-estimée de l'image de l'employeur. On voit que les entreprises investissent beaucoup dans leur culture interne, soignent des aspects comme l'intégration des travailleurs, le team building, le partage de la charge de travail... sans réaliser qu'un seul licenciement qui se passe mal peut suffire à réduire tous ces efforts à néant. Vous aurez beau chouchouter vos équipes et soigner votre image dans la région, si vous remerciez brutalement un travailleur, tout le monde le saura. À l'heure des réseaux sociaux, ce genre d'information se propage comme une traînée de poudre. La pandémie a toutefois aussi eu pour effet que de nombreux prestataires ont choisi eux-mêmes de démissionner voire de quitter complètement la profession. En effet, même si cela ne change finalement rien au rôle de l'employeur ou de l'hôpital, la seule différence étant que l'ambiance de l'entretien de sortie sera généralement moins chargée. Je voudrais toutefois insister sur un point: même si c'est le prestataire lui-même qui décide de partir, veillez à ce que ce départ se passe d'une manière digne et respectueuse, car les mauvais souvenirs pèsent toujours plus lourd que les bons. N'oubliez pas non plus que la personne a effectué tout un parcours qui l'a, en bout de course, amenée à prendre la décision de quitter votre hôpital. Terminer la collaboration sur une note positive, p.ex. en organisant une fête d'adieu ou en rédigeant une lettre de recommandation élogieuse, c'est aussi une manière de balayer la négativité qui entoure l'événement proprement dit. Votre ancien collaborateur pourrait même continuer à jouer un rôle d'ambassadeur pour votre établissement dans le futur. Un entretien de sortie a-t-il vraiment son sens? La personne ne risque-t-elle pas d'être déjà "déconnectée" de l'emploi qu'elle quitte? Non, ce n'est généralement pas le cas. Je voudrais aussi insister sur le fait que l'entretien de sortie n'est pas une occasion de cracher son venin, mais de faire preuve d'honnêteté de part et d'autre. Ces entretiens peuvent être une source d'information inestimable et très détaillée concernant le fonctionnement de l'entreprise - une belle opportunité qui ne coûte finalement pas grand-chose en comparaison avec les budgets conséquents qui sont parfois consacrés aux audits. À vous, en tant qu'employeur, de créer un cadre propice: si vous recevez la personne qui s'en va dans votre bureau, bras croisés et flanqué(e) d'un avocat et d'un conseiller en prévention, ne vous attendez pas à ce qu'elle se montre ouverte et honnête. Pour qu'elle se confie à coeur ouvert, il est important de lui offrir un environnement sûr d'un point de vue émotionnel et juridique. Si c'est vous qui avez décidé de mettre fin à votre collaboration, vous pourriez p.ex. mener vous-même la conversation ou admettre votre part de responsabilité dans ce qui s'est mal passé. Ce n'est pas un signe de faiblesse, que du contraire! Comment se défaire du tabou qui entoure encore le licenciement? Je pense qu'il est important de retenir que nous sommes tous un peu de simples passants dans la vie des autres, en particulier dans un contexte professionnel. L'époque où les gens faisaient toute leur carrière au même endroit est aujourd'hui révolue... et si vous avez d'emblée conscience que la collaboration ne durera qu'un temps, il sera aussi moins difficile de prendre de la distance lorsqu'elle se termine.