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"En 2012, nous avions décidé de reconstruire l'hôpital. La pire erreur aurait été de le refaire à l'identique. Cela n'aurait pas été visionnaire. Il fallait améliorer l'hôpital dans toutes ses dimensions. Nous avons toujours cette ambition. Un des premiers constats que j'ai faits, en 2012, en tant que nouveau CEO, était que les outils informatiques n'étaient pas à la hauteur des besoinsd'un hôpital du 21e siècle. À l'époque, ils occasionnaient entre 40 à 45 minutes d'arrêt par jour en raison des bugs et des ralentissements", explique Renaud Mazy. "Il fallait donner une nouvelle colonne vertébrale virtuelle aux Cliniques Saint-Luc pour leur permettre de se transformer."En 2012, Jacques Rossler, le directeur informatique de l'hôpital, a proposé de changer de paradigme et de ne pas seulement améliorer les systèmes. En 2014, le Conseil d'administration a donné son feu vert pour lancer le projet. "Nous avons choisi notre partenaire informatique en partant des véritables besoins du terrain, identifiés par plusieurs centaines de travailleurs, tous métiers confondus. 3.000 besoins ont été listés. Un cahier des charges a ensuite été rédigé et publié. Il prévoyait d'emblée de trouver un DPI pour un hôpital universitaire et répondant à une série de caractéristiques qui, en raison de nos ambitions, empêchaient une série d'acteurs locaux de postuler. Trois sociétés ont été sélectionnées: Cerner, Epic et Medasys. Nous avons lancé les négociations avec les trois entreprises. Ce processus a duré plusieurs mois. Finalement, nous avons choisi le TPI2 (trajet patient intégré et informatisé, ndlr) produit par Epic qui apportait les meilleures réponses. En raison de l'ampleur de l'investissement - 65 millions d'euros - nous ne pouvions pas nous permettre de nous tromper. Epic répondait le mieux à nos besoins et surtout nous permettait de passer à la vitesse supérieure pour encore améliorer la qualité des soins délivrés à nos patients. Nous avions, par exemple, déjà un bon service de facturation, mais il pouvait encore être amélioré. Nous voulons aussi utiliser cet outil pour booster la recherche. Notre ambition est aussi de rentrer dans le big datapuisque nous allons collecter de nombreuses informations. Ces données nous permettront de bénéficier d'une aide à la décision. C'est un véritable investissement stratégique de pouvoir dans quelques années proposer aux médecins d'être assistés par de l'intelligence artificielle."Actuellement, 60% de la population américaine sont couverts par un DPI Epic. La Mayo Clinic, Stanford Hospitals, Johns-Hopkins Hospitals ... disposent de ce système informatique. Plusieurs de ces hôpitaux sont équipés, par exemple, d'un module permettant de prédire, avec une probabilité de 70%, la survenue d'une septicémie dans les sept à huit heures chez un patient hospitalisé aux soins intensifs. Un autre module permet d'anticiper trois, quatre heures à l'avance chez un patient hospitalisé la survenance d'un infarctus. "Epic renforce également la sécurité du patient. Nous scannons le bracelet du patient, ses médicaments et les devices utilisés. Ces procédures ont un impact favorable sur la qualité des soins. Il y a également un return financier là-derrière puisqu'on a moins de complications, d'événements indésirables, de réhospitalisations...", explique Renaud Mazy. "Epic collaborant avec des centaines d'hôpitaux au travers du monde, on dispose déjà des données qui démontrent que les hôpitaux ont réduit les complications, les réhospitalisations..."4.500 travailleurs des Cliniques Saint-Luc utilisent désormais Epic. Ils ont eu besoin d'une formation spécifique. "Nous avons remplacé 400 applications par une seule. C'est un changement radical. Il était impossible de ne pas préparer de longue date cette transition. En raison du Covid, nous avons dû arrêter les formations en présentiel et postposer le lancement d'Epic à la fin du mois de novembre. 4.500 personnes ont été formées principalement en septembre, octobre et novembre durant une bonne vingtaine d'heures. Il est nécessaire de pouvoir se familiariser avec ce nouvel outil et, le cas échéant, de le personnaliser. Nous avons développé 982 vidéos. Les médecins ont suivi plus de 20 heures de formation."Implémenter une nouvelle technologie est souvent source de tensions, en raison de la résistance naturelle au changement . "Le fait que cet outil corresponde aux 3.000 besoins établis par le terrain a facilité son adoption par les travailleurs. Certaines personnes éprouvent plus de difficultés que d'autres à s'habituer aux changements, mais je constate que ceux qui ont suivi la formation se rendent compte de la puissance extraordinaire de cet outil. Par exemple, la personnalisation par pathologies. Je n'ai rencontré personne sur le terrain qui m'ait dit "tout ce changement pour cela"." Le système d'Epic est aussi un tableau de bord utile pour monitorer en temps réel les actions, par exemple, le nombre de médicaments et de bracelets scannés par le nursing. "Il est possible aussi d'identifier les travailleurs qui ont plus de difficultés à utiliser le nouveau système et de leur proposer une aide. Nous pourrons à l'avenir avoir en temps réel les flux de l'hôpital en cas de pandémie ou d'attentat, suivre les points d'engorgement dans l'institution et activer des alarmes qui attirent notre attention. Certains hôpitaux ont mis sur pied des centres de commandement qui permettent de détecter tous les problèmes et les signalent en temps réel à la direction", explique Renaud Mazy. La philosophie de collaboration entre Epic et ses clients se résume en "best friends forever". "La société déclare qu'elle n'a jamais perdu un client. Les mauvaises langues diront que comme l'investissement de départ est tellement élevé, les hôpitaux ont peur de changer. C'est une perception abusive. Lorsque qu'un partenaire d'Epic développe un module et le partage, cet outil appartient à la communauté. Chaque trimestre une nouvelle version est téléchargée dans tous les hôpitaux au travers du monde."Pour l'administrateur délégué des Cliniques Saint-Luc, ce système informatique performant permet d'entrer dans un nouvel univers. "Avant, avec Medical Explorer, nous disposions d'un bon outil qui a permis à notre institution d'être dans le peloton des premiers hôpitaux digitalisés. Ce nouvel outil doit nous permettre de nous améliorer. Nous avons fait un business case sur dix ans. Il n'est donc pas question de changer de système durant cette période, sauf bouleversements majeurs dans le monde des dossiers patients informatisés."L'hôpital a investi dans de nombreux serveurs, des stations et chariots informatiques présents dans les unités de soins et des "Rovers" (smartphone transformé en terminal permettant de scanner des produits et dispositifs, ndlr). Les Cliniques universitaires Saint-Luc ont payé 65 millions à Epic pour l'installation du nouveau système et le matériel nécessaire à son utilisation. Cet investissement doit être amorti sur dix ans. Les hôpitaux partenaires de Saint-Luc dans le réseau loco-régional - les Cliniques Saint-Jean, la Clinique Saint-Pierre d'Ottignies et les Cliniques de l'Europe - n'utilisent pas Epic. "Dans le cahier des charges rédigé par ces trois hôpitaux pour acheter leur futur DPI, il est prévu de disposer d'une passerelle permettant l'échange et l'optimisation des informations avec notre hôpital universitaire", précise Renaud Mazy. L'administrateur délégué ne cache pas qu'il aurait espéré que ses partenaires choisissent le même DPI mais souligne que l'investissement financier est trop important pour ces institutions. "Notre hôpital est la première institution francophone dans le monde à être équipée du DPI Epic. De nombreux collègues attendent de voir comment nous allons l'utiliser avant d'oser se lancer dans un tel investissement." L'utilisation de ce DPI entraînera également des changements au niveau de l'organisation du travail. Pour répondre aux besoins, des métiers administratifs vont être progressivement remplacés par des profils capables de traiter les données qui auront été rassemblées automatiquement. "Au niveau mondial, le système Discovery d'Epic permet de comparer les données anonymisées de tous les hôpitaux qui utilisent ce DPI. Ces données sont consolidées et permettent de faire des comparaisons, de préparer des outils d'intelligence artificielle", s'enthousiasme Renaud Mazy. Le DPI Epic est compatible avec des outils de téléconsultation, mais les Cliniques Saint-Luc ne comptent pas en faire un axe prioritaire de leur stratégie. "Nous avons fait beaucoup de téléconsultations durant la pandémie, mais un hôpital tertiaire, voire quaternaire, a besoin de voir les patients pour assurer le diagnostic et le suivi."