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"On a un vrai problème au bloc opératoire en terme d'impact des soins de santé sur la pollution", se désole la Dr Natalia Magasich-Airola, anesthésiste (Cliniques Saint-Luc, Bruxelles). "Je me focalise ici sur les déchets, mais il y a aussi la production de gaz et les ressources énergétiques. Quand on arrive au bloc, c'est effrayant, tout est allumé 24/24 et la production des déchets est monumentale! Or, pour le moment, en tout cas à Saint-Luc, pas grand chose n'est fait pour les réduire."Les hôpitaux sont responsables de 4% de la production nationale de déchets, dont 30% proviennent du bloc opératoire, précise-t-elle: "En moyenne, une intervention chirurgicale correspond aux déchets produits par une famille de quatre personnes en une semaine. C'est totalement disproportionné par rapport à la place qu'on occupe dans l'hôpital. C'est pour ça qu'en général les initiatives de gestion proviennent des blocs, soit des anesthésistes, soit des chirurgiens."Face à ce constat, l'anesthésiste s'est beaucoup intéressée à la question du développement durable au bloc opératoire. Pour illustrer son propos, elle montre la vidéo d'une artiste néerlandaise, Maria Koijck, qui a fait une installation avec tous les déchets produits lors de son opération de reconstruction mammaire en se demandant s'il y a moyen de faire autrement. "Cette photo a servi pour la couverture de la revue Anesthesiology en décembre 2021 [2], ce qui a beaucoup impacté la communauté anesthésique et chirurgicale. Dès lors, le nombre de recherches et de publications sur ce sujet a augmenté. Nous, on veut donner les mêmes soins mais on voudrait une alternative pour polluer moins."Selon l'OMS, il y a deux types de déchets: les non dangereux, assimilés aux ordures ménagères, qui vont dans la poubelle grise et les déchets dangereux qui vont dans la poubelle jaune. "Pour l'OMS, dans les blocs opératoires, il faudrait se rapprocher d'un ratio 85% non dangereux/15% à risque (10% infectieux, 5% radioactifs ou chimiques). À Saint-Luc, pour tout l'hôpital, il y a 1120 tonnes de déchets ménagers contre 363 tonnes de déchets dangereux. On est loin du ratio 85/15... Comment trier? C'est très simple: si c'est pas dangereux, ça va dans la poubelle grise, si c'est dangereux, dans la jaune", résume-t-elle. "À vrai dire, en anesthésie, quasi rien ne doit se retrouver dans la poubelle jaune parce que nous avons des tirelires pour les aiguilles et les lames et, dans le reste, rien n'est dangereux. À part évidemment quand il s'agit d'un patient infecté, mais pour une opération lambda, a priori, le bac jaune devrait être quasi vide à la fin de l'opération."En Belgique, les deux poubelles vont à l'incinérateur mais le traitement et le chemin qu'elles suivent sont différents: "La grise suit le même trajet qu'une poubelle ménagère, pour la jaune, on prend plus de précautions (fûts en plastique scellés, gestion cinq fois plus chère que pour la grise). Donc, ne fût-ce que pour des raisons économiques, il est intéressant de bien classer ces déchets. Ensuite, dans un objectif de recyclage, il faut que les poubelles soient bien gérées."Réduire, réutiliser et recycler: en observant la règle des 3R, on peut améliorer la situation. "Il y a une hiérarchie bien sûr", détaille la Dr Magasich-Airola, "le plus important est de réduire la quantité de déchets produits, ensuite, réutiliser ce qui peut l'être et enfin, recycler."Réduire: l'objectif est de diminuer le gaspillage des ressources environnementales et fatalement le volume de déchets produits. "Au bloc, le gaspillage est énorme. Une étude faite en France sur des chirurgies urologiques, gynécologiques et digestives a montré que le gaspillage correspondait à 20% du budget de la chirurgie, soit 100.000 euros pour 8.000 chirurgies/an. La première cause (33%) c'était la mauvaise anticipation des besoins du chirurgien. Selon l'étude, 70% du personnel changerait ses habitudes s'il était informé. Il faut donc sensibiliser les gens à ce problème. C'est ce que j'essaie de faire en en parlant dans les blocs aux chirurgiens, aux infirmiers et aux anesthésistes", souligne-t-elle. "La deuxième chose qu'ils préconisent c'est de développer un modèle 'just in time': pour les chirurgies classiques, on peut attendre que le chirurgien ait besoin de quelque chose et ouvrir les emballages au bon moment. Enfin, il faut optimiser les packs de matériels. Par exemple, pour une arthroscopie de genou, il faudrait ouvrir 32 items avec 32 emballages. Si vous faites un pack 'arthroscopie de genou' bien pensé, vous n'avez plus qu'un seul emballage et donc un seul déchet."Matériel jetable ou réutilisable? "Au bloc opératoire c'est un grand sujet!", admet l'anesthésiste. "L'objectif du matériel réutilisable, c'est de diminuer l'utilisation des ressources naturelles pour le produire et de réduire les déchets. Le matériel jetable a été inventé pour éviter le risque infectieux et, à un moment, on a pensé que c'était plus hygiénique d'utiliser des choses jetables, plutôt que de restériliser. Or, l'OMS a statué qu'il n'y avait pas de différence entre les deux en matière d'infection. Il est nécessaire de faire des études, notamment de coût et d'impact écologique. On pourrait penser que stériliser pollue beaucoup, dépense beaucoup d'énergie, mais produire quelque chose et en faire un déchet, ça nécessite aussi énormément de ressources."Comment comparer le matériel jetable et le réutilisable? "C'est ici qu'intervient le concept d'analyse du cycle de vie: à chaque étape, on voit ce qu'il faut comme énergie et matière pour produire par exemple une lame de laryngoscope, et ce que cela entraîne comme pollution. Les optimistes voient ça comme un cycle mais ce n'est pas toujours le cas. C'est un calcul complexe. En général, tout est favorable au réutilisable en termes d'impact environnemental et de coût."Qui dit recyclage, dit tri optimal: "40-60% de nos déchets sont recyclables. Cependant, 80% des déchets sont produits avant l'entrée du patient en salle d'opération parce qu'on ouvre déjà plein de choses: faire un tri permettrait donc une réduction de 50% du volume de déchets dans les blocs op. Ensuite, on peut aussi recycler au bloc: le plastique qui représente 50% des déchets en anesthésie pourrait être mis dans le sac bleu, certains récupèrent le métal... On essaie de s'y mettre à Saint-Luc. C'est juste le début!", conclut Natalia Magasich-Airola.