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Faramineux par le montant récolté, ce coup d'éclat n'en reste pas moins ponctuel. Il ne saurait masquer les innombrables petits ruisseaux qui font les grandes rivières du soutien philanthropique aux services de santé, en Grande-Bretagne comme aux États-Unis, mais aussi en Belgique. Quelques exemples concrets. On estime que la première charity britannique oeuvrant sur le terrain de la santé date de 1873, avec la fondation du Hospital Saturday Fund (HSF). Il se voulait une sorte de mutuelle, couvrant les soins de santé de ses adhérents moyennant paiement d'une prime hebdomadaire modique. À régler le samedi, jour de paie, d'où son nom... Le HSF existe toujours, mais est resté modeste : il ne couvre que quelque 200.000 personnes, en Grande-Bretagne et en Irlande. C'est que le paysage a bien changé, en particulier depuis le lancement, en été 1948, du National Health Service (NHS), le système de santé publique. Financé par l'État, mais également par des dons privés. Rassemblées sous la bannière de NHS Charities Together, plus de 200 organisations caritatives ( charity) soutiennent le système en mobilisant des bénévoles, en sensibilisant la population et, bien sûr, en organisant des récoltes de fonds. Ce soutien financier représente grosso modo un million de livres par jour. Il a été fortement accentué lors de la crise du coronavirus, y compris en faveur du personnel soignant avec, par exemple, l'aménagement de pièces de repos. Le Great Osmond Street Hospital, établissement londonien soignant les enfants depuis 1852, est un cas intéressant. Il a longtemps bénéficié des droits d'auteur sur l'histoire de Peter Pan, suivant la volonté de son auteur James Barrie. Ces droits sont tombés en Europe, mais ils resteront dus à perpétuité en Grande-Bretagne, un privilège accordé par le gouvernement en 1988. L'hôpital a trouvé une autre source de revenus : afficher le nom d'un mécène, à la manière d'universités ou stades de foot. En 2008 était ainsi baptisé le Mittal Children's Medical Center, après don de 15 millions de Livres par la famille indienne, numéro un mondial de l'acier (Arcelor Mittal). Deux ans plus tard, c'était au tour du Morgan Stanley Clinical Building, la banque d'affaires américaine ayant signé un chèque de 11 millions. L'opération de 2013 fut un brin plus modeste, le groupe Whitbread n'ayant dû débourser " que " 7,5 millions pour afficher le nom de sa chaîne de motels au Premier Inn Clinical Building. On sait les Américains fort généreux à l'égard des organisations non profit en tous genres : leurs dons auraient atteint 427,7 milliards de dollars en 2018. On ne s'étonne pas de la prééminence des religions, avec un tiers du total. Parent pauvre en apparence, avec une trentaine de milliards en direct, la santé est en réalité un important bénéficiaire indirect et totaliserait ainsi quelque 150 milliards de dons par an. Premier bénéficiaire dans le secteur médical (et 5e au total) suivant le magazine économique Forbes, avec 1,72 milliard : le St. Jude Children's Research Hospital de Memphis, dans le Tennessee, axé sur le traitement des cancers. Il compte un important mécène depuis 1999 : la fraternité universitaire ( sorority) Tri Delta, une des plus importantes associations féminines du monde. En 2014, elle a donné son nom à une résidence pour patients, hommage aux... 60 millions de dollars récoltés en dix ans. Parmi les autres amis de l'hôpital : le groupe de courrier express Fedex (basé à Memphis), qui soutient l'important tournoi de golf organisé par l'hôpital. Pour ce qui est de donner le nom d'un sponsor à un immeuble, St. Jude a fait très fort en 2007 : la chaîne de restauration rapide Chili's fut gratifiée de son nom sur le nouveau bâtiment de 32.000 mètres carrés abritant plusieurs services. Il est vrai que Chili's avait signé un chèque de 50 millions de dollars ! Toutes proportions gardées, une pareille démarche est clairement envisagée par la Fondation Saint-Luc, fondation d'utilité publique et principal mécène privé des Cliniques universitaires Saint-Luc, à Bruxelles. Le moment s'y prête, puisque l'institution entamera sous peu une énorme reconstruction/ rénovation. Tessa Schmidburg, secrétaire générale de la Fondation : " Nous avons engagé une personne pour développer le partenariat avec les entreprises, dans la direction d'un mécénat "identifié". Il s'agit, en retour du sponsoring, de pouvoir identifier le nom de ces entreprises, par exemple pour des salles de réunion, des espaces de rencontre, etc. " Les entreprises ne représentent jusqu'ici que 18 % des fonds récoltés par la Fondation. " Le mécénat privé et d'entreprise est primordial pour pallier le manque de fonds publics ", déclarait Renaud Mazy, administrateur-délégué des Cliniques, en 2017. Il ne s'agit pas d'assurer le fonctionnement quotidien de l'institution, mais de financer quatre axes : la recherche médicale, l'acquisition d'équipements de pointe, la formation des médecins et du personnel soignant, ainsi que l'amélioration de la qualité de vie des patients. " L'argent récolté par le mécénat sert toujours à compléter les montants nécessaires pour que les Cliniques demeurent au niveau d'excellence et d'humanisme, jamais des projets qui doivent être financés par l'hôpital ou les pouvoirs publics ", précise la secrétaire générale. Il est vrai qu'au niveau actuel, il ne s'agit que d'une cerise sur le gâteau, puisque le budget de fonctionnement annuel des Cliniques dépasse le demi-milliard. Avec son statut juridique de fondation d'utilité publique, la Fondation Saint-Luc est indépendante et peut délivrer une attestation pour un don à partir de 40 euros. Il va de soi que certains sont infiniment plus élevés. La Fondation a ainsi reçu des montants colossaux pour financer le futur institut de psychiatrie, ou encore le centre de protonthérapie de Leuven. Plus de 80 % sont en effet affectés à un objet précis. Quant aux legs, certains dépassent le million. " Nous sommes parfois en contact de longue date avec la personne qui a inscrit la Fondation dans son testament, mais il arrive aussi que le legs provienne d'une personne qui nous est inconnue, ce qui est très touchant ", évoque Tessa Schmidburg. " Comme est très touchant le don modeste fait par une personne aux faibles moyens. Nous sommes très sensibles à cette philanthropie de coeur. "La Fondation a récolté 6,20 millions d'euros en 2019, en baisse sensible sur les 8,24 millions de 2018 (mais venant de 4,67 en 2016 et 2,51 en 2014, ou encore... 250.000 euros en 2007). Parmi les explications : bisannuel, le dîner de gala a récolté 1,2 million en 2018. C'est le principal évènement récolteur de fonds. L'appel spécial Covid-19 a rencontré une réponse très positive, avec une récolte atteignant 2,2 millions en sept semaines et demie, précise Tessa Schmidburg. L'année 2020 pourrait donc renouer avec la croissance. Surtout en élargissant davantage le cercle des mécènes aux entreprises.